critique &
création culturelle
Le Planétarium de Nathalie Sarraute

le déclin d’une famille

Le Planétarium correspond bien à son étiquette de « Nouveau Roman ». À travers l’histoire d’une famille qu’on pourrait qualifier de banale, Nathalie Sarraute crée un univers d’une force impressionnante, donnant à de simples conversations des allures de combats épiques.

Le Nouveau Roman se définit comme un courant cherchant à s’éloigner du roman classique. Alors que les auteurs du XIX e siècle décrivaient la société environnante en passant par toutes les classes sociales, le Nouveau Roman va lui prendre le parti de s’aventurer dans la tête des personnages et de s’attaquer à une véritable analyse psychique de ceux-ci. Rien de scientifique pourtant à cette démarche : les auteurs s’appliquent simplement à entrer dans les pensées intimes de leurs protagonistes.

Dans Le Planétarium , Nathalie Sarraute illustre parfaitement cette volonté, et avec une plume des plus particulières. On découvre dès les premières pages le personnage de Berthe, sans pourtant que son prénom ne soit jamais cité. Alors qu’on s’attendrait à une présentation de celle-ci, ce personnage nous offre une scène originale en parlant durant tout le chapitre… d’une poignée de porte. En effet, son esprit reste constamment fixé sur cet objet, tandis qu’elle décrit la décoration de son appartement et se perd dans ses pensées. Cette première scène donne le ton à un roman entièrement tourné vers une intériorité. L’autrice n’hésite pas à abuser des points de suspension, ce qui donne du suspense à son texte, loin pourtant des histoires qui prennent aux tripes.

Le récit continue de cette façon, passant d’un personnage à l’autre, nous présentant peu à peu la famille Guimier dans son ensemble. Chacun semble avoir ses torts, ses préoccupations et ses fixations. Alors qu’on les accompagne, on sent se dessiner lentement une trame principale, mais effacée par l’intérêt porté aux plus sombres et minuscules pensées de tous. L’autrice nous perd parfois par sa plume loin d’être translucide. En ne précisant jamais qui parle ou qui pense, elle nous donne à réfléchir constamment sur ce qui est en train de se passer sous nos yeux. Ce roman ne se présente pas comme un récit palpitant d’une famille. On ne cherche pas à savoir la suite avec curiosité, mais simplement à comprendre. Pourquoi ce comportement ? Pourquoi cette haine à l’intérieur des personnages comme une seconde peau que chacun semble devoir porter ? Et alors qu’on se perd en conjectures et que notre frustration de vouloir une histoire grandit (car c’est à cela que le roman nous avait habitué), Nathalie Sarraute nous montre l’alternative, l’histoire sans histoire, la plume pour la plume.

Certes cette œuvre pourrait à première vue sembler inintéressante, mais c’est dans ce qu’elle transmet qu’elle prend sa force, pas dans ce qu’elle dit. La plume de l’autrice dévoile toute sa puissance, en donnant à des éléments de vie et à des pensées banales des allures de grandes aventures. Chacun semble en proie à des démons qui le dépassent et dans une lutte pour la vie, sans que rien de tel ne soit jamais évoqué. C’est dans cette subjectivité que Nathalie Sarraute offre tout son talent et son intérêt.

Dans Le Planétarium, ce roman sans histoire, la seule volonté qu’on peut alors avoir est de s’infiltrer dans les pensées des personnages pour les mettre à nu malgré les non-dits. Le lecteur peut devenir voyeur, s’infiltrer dans une famille, découvrir les pensées et les craintes de tous. Et alors que notre cerveau prédisposé nous poussera à chercher un récit, c’est en finissant la dernière phrase de ce roman que, peut-être, on comprendra enfin que rien n’est plus important que la représentation que l’on a du monde, et non le monde en lui-même.

Même rédacteur·ice :

 

Le planétarium

Nathalie Sarraute

Gallimard, 1959 et Folio, 1972

250 pages