Dans Où part l'amour , Chantal Deltenre emporte son lecteur dans le monologue intérieur d’une héroïne sensible à la recherche de l’autre. Un roman poétique naviguant entre inattendu et inespéré, qui nous apprend que la vérité coexiste avec l’inachevé.
« Où part l’amour » est une phrase laissée en suspens qui est apparue lors d’un rêve… Celui de l’auteure, celui de l’héroïne ? Dès le départ, l’ambiguïté est posée et peut-être même que la question n’a pas à être formulée puisque, dans ce récit, tout est personnel comme fictif : l’héroïne partage des caractéristiques étrangement similaires à l’auteure comme par exemple son métier d’ethnologue, mais son prénom n’est en revanche jamais cité, son identité n’étant ainsi jamais révélée. Tout au long du récit, elle exprime son rapport au monde, une réalité qui se lie nécessairement au fantasme, mais qui représente aussi une vérité, celle du vécu de l’être.
C’est l’histoire d’une femme d’une cinquantaine d’années qui rencontre, par le biais du réseau social Facebook, Jacques C., un médecin engagé dans la guerre de Syrie. Faisant mystérieusement partie de ses amis, il prend contact avec elle pour exprimer son appréciation enthousiaste quant aux photographies qu’elle y publie. S'ensuivent alors des échanges à distance auxquels la protagoniste s’attache de plus en plus, un lien qui se révèle néfaste, mais toutefois révélateur.
Les yeux rivés au hublot, j’aurais aimé que le vol s’éternise, rester indéfiniment suspendue entre l’aérien et l’enraciné, m’enfoncer dans le non-lieu des nuages, loin de toute pesanteur terrestre.
Où part l’amour est une quête de la réciprocité amoureuse. L’héroïne affectionne un homme qui s’implique dans la correspondance tout en y étant indifférent. À travers ce lien délétère, la relation à l’autre est abordée dans le cas des réseaux sociaux, cette sphère où le rapport aux images, aux intérêts est composé. En effet, ces nouveaux modes de communication font de la rencontre un acte qui se produit entre des identités construites à partir de partages privés ou publiques, d’intérêts que l’on s’autorise à divulguer.
Chaque jour, je faisais l’expérience de rencontres bien réelles qui me renvoyaient à l’inconstance du lien avec Jacques C., l’absence de lieux et de temporalité où cette relation se tissait devenait de plus en plus familière au fil du temps, comme le montraient par exemple des expressions de plus en plus intimes utilisées dans les bulles Messenger, si bien qu’elle occupait désormais une place centrale dans ma vie.
Sans le regard de cet homme qui m’avait dit un jour aimer mes images et leurs légendes, je sentais mon propre regard confisqué.
Le rythme du récit est difficile à saisir puisque la fugacité ne cesse de venir brusquer l’immédiat. En effet, il est préférable de se laisser transporter par l’écriture sensible et poétique de Chantal Deltenre afin de capter l’essence des mots qui vagabondent au fil des pages. La narration est ponctuée par des photographies personnelles qui sont commentées poétiquement. Celles-ci sont paradoxales : représentant l’instantané dans leur essence-même, les clichés montrent pourtant du mouvement, du flou. Ces insertions poético-photographiques soulignent le rapport que l’héroïne entretient avec le monde, et accompagnent le parcours émotionnel de celle-ci dans sa relation virtuelle. À un moment du récit, l’une de ses amies lui dit notamment :
Voyons voir : dans cette poche, tu as ton appareil photo et dans ce sac, ton carnet de notes, vrai ou pas ? […] Alors tu as de quoi t’accrocher.
Ces insertions sont sans doute les instants les plus intimes entre le lecteur et la protagoniste.
Dans Où part l’amour , le mouvement coexiste avec l’instantané, une antinomie représentant la pensée de cette héroïne qui ne cesse de se développer tout en captant l’irrémédiable qu’impose la réalité. Cette histoire apporte le sentiment que toute quête amoureuse aboutit nécessairement : il faut parfois juste saisir l’amour sous une forme inattendue.