critique &
création culturelle
Quelques minutes après minuit
Quand le fantastique aide à faire son deuil

Dans Quelques minutes après minuit , Patrick Ness traite avec brio la douloureuse épreuve du deuil chez l’enfant. Retour sur le livre, ou le film, ou les deux.

Une nuit, à 12h07, l’if multiples fois centenaire situé sur la colline du cimetière d’une petite ville anglaise se réveille et marche jusqu’à la fenêtre du jeune Conor O’Malley pour lui raconter trois histoires. Conor devra ensuite lui en raconter une quatrième : sa vérité, le cauchemar qui le hante presque à chaque fois qu’il ferme les yeux.

On est souvent déçu quand un livre qui nous a marqué est adapté au cinéma. Parce que l’image qu’on s’est faite des personnages ne correspond pas à celle qui nous est montrée, ou parce que l’écran ne transmet pas les mêmes émotions que les mots qui nous touchent parfois en plein cœur . Pourtant, ici, il m’est impossible de décider de parler du livre ou du film, car les deux se complètent et se répondent avec une justesse impressionnante. C’est probablement dû au scénario écrit par Patrick Ness lui-même, auteur du livre. Alors parlons simplement de l’histoire.

Dès le début du récit, le lecteur (qui est également le spectateur impuissant de la dure vie du jeune adolescent de treize ans) comprend que Conor est absolument seul pour faire face à la douleur que lui cause la maladie de sa mère, atteinte d’un cancer en phase terminale. Il doit se faire lui-même à manger, laver ses vêtements, se rendre seul à l’école où il se fait harceler et frapper par des garçons de sa classe. Il n’a aucun ami. Il y a seulement sa grand-mère, veuve, la petite cinquantaine, une dame froide qui n’arrive pas à se trouver d’atomes crochus avec son petit-fils ; et son père, qui s’est remarié et vit aux États-Unis, bien loin de Conor.

Conor serre les dents et supporte sans rien dire. En regardant King Kong avec sa mère, il lui demande pourquoi les gens veulent tuer le singe géant. « Ils ont peur de ce qu’ils ne comprennent pas », lui répond-t-elle. Conor invoque alors un monstre, sans peur, mais sans trop savoir pourquoi. Peut-être que le monstre va sauver la mère du jeune garçon.

Dans Quelques minutes après minuit , le fantastique ne se limite pas qu’à un genre : il se transforme en un moyen pour Conor de comprendre et d’accepter ce qu’il ressent vis-à-vis de la maladie de sa mère. Le monstre de Conor, probablement produit de son imagination, n’est que l’incarnation de son angoisse, de son impuissance et de son sentiment de culpabilité. Chacune des trois histoires racontées par l’arbre l’aide à remettre les faits et ses pensées en perspective et le fait avancer dans son deuil. Quant à la fin de l’histoire, si elle est prévisible et même presque courue d’avance, elle se centre sur Conor. La perspective de la maladie touchant aussi l’entourage du patient me parait peu exploitée dans la littérature de jeunesse, alors qu’elle y a toute sa place et son importance, pour aider les enfants et les adolescents confrontés à l’épreuve de la maladie d’un proche à comprendre leur frustration et l’importance de l’extérioriser. C’est un livre et un film qui font pleurer, pas de tristesse, mais de compassion et de soulagement.

Même rédacteur·ice :

Quelques minutes après minuit

Écrit par Patrick Ness
Walker Books, 2011
368 pages

Réalisé par J. A. Bayona
Avec Sigourney Weaver , Felicity Jones , Liam Neeson , Lewis MacDougall
USA, Espagne, Angleterre, 2016
108 minutes