Hiperson
Groupe fondé à Chengdu et aussitôt plébiscité sur Douban dès son premier album en 2015, Hiperson est l’un des groupes de rock les plus passionnants que la Chine a pu offrir ces dernières années. Évidemment, je n’ai pu résister à la tentation de les contacter afin d’en brosser un portrait capable de rendre justice à tout leur talent.
Chengdu, capitale du Sichuan aussi surnommée la « ville de l’hibiscus », est connue pour ses pandas géants, pour son atmosphère plus détendue que dans les grandes villes de l’est de la Chine (Shanghai et Beijing en tête), pour ses plats typiques, pour son goût du luxe, et pour bien d’autres choses encore qui en font une destination très sympathique pour quiconque souhaiterait en temps normal (hors covid donc) en arpenter les innombrables rues. Mais, en ne s’arrêtant pas à cette accumulation de lieux communs, Chengdu abrite également des scènes musicales très vivantes où se croisent reggae, folk, musique du monde, hip-hop et surtout, en ce qui me concerne ici, rock. La ville comprend en effet des groupes importants de la mouvance post-punk chinoise détaillée par Collin Smith dans son passionnant article publié sur Bandcamp . Ce genre musical dérivé du punk a pour particularité des contours assez flottants laissant libre cours à la créativité et à l’expérimentation. Par exemple, depuis déjà un peu plus de dix ans, Stolen trace une voie qui décrit des boucles technorock très rythmées et sinueuses, accompagnées du timbre vocal vénéneux de Liang Yi. Mais mon attention se porte aujourd’hui sur un groupe plus récent qui démarre par un premier album en 2015 chapeauté par Yang Haisong (de P.K.14) et intitulé No Need For Another History ( 我不要 别的历史) : Hiperson. Leur dernier album, le très abouti (et, pour moi, désormais classique) Bildungsroman a réussi à me convaincre de prendre l’initiative de les contacter afin d’en apprendre davantage sur leur vision artistique. J’en livre ici mes propres conclusions, mais libre à vous de lire intégralement sur mon modeste blog la longue interview qui est en est à l'origine…
Qui sont les Hiperson ?
Plutôt que de me risquer dans des recherches hasardeuses, j’ai pris les devant et leur ai demandé de se présenter tout à tour. Sans surprise, il en est ressorti que ce sont des personnes comme tout le monde, avec des hobbys et passions qui peuvent se rencontrer autant ici qu’en Chine. Hiperson est ainsi composé de cinq membres. Ji Yinan (nom de famille, prénom, ordre habituel en Chine) est l’un des guitaristes. Il adore la cuisine, pratiquer des sports et tout l’humour du monde. Il est également artiste sonore et a travaillé en 2019 avec Chen Sijiang sur une œuvre hybride entre art visuel et art sonore. Cette dernière est la chanteuse principale du groupe. Poète à ses heures, elle a écrit les paroles des chansons et a clairement marqué de son imaginaire les thèmes abordés par Hiperson. D’autre part, sortie d’une école d’art, elle est artiste plasticienne. Ses œuvres sont visibles sur Instagram ainsi que sur son site internet. Wang Minghui, aussi surnommée Ming Ming , est la bassiste de Hiperson. Elle a commencé la guitare acoustique au début de l’adolescence. Prise par le virus, elle a enchaîné avec la guitare électrique. Enfin, sûre de sa voie, elle a poursuivi par des études en composition musicale et direction d’orchestre. Elle est d’abord connue pour son implication dans The Hormones , groupe exclusivement féminin. Elles sont immanquables si l’on se penche sur la scène rock chengduane. Wang Boqiang, quant à lui, est le batteur de Hiperson. Il écrit ses propres compositions de percussion et est également professeur de batterie. Si vous êtes de passage dans le Sichuan, que vous êtes amateur de batterie et que vous cherchez des cours, sait-on jamais… Enfin, il faut évidemment évoquer Liu Zetong, également guitariste, qui est collectionneur de maquettes et de jouets ainsi qu’artiste 3D à ses heures.
Qu’est-ce que Hiperson ?
Définir Hiperson équivaut à chercher à deviner des figures dans les remous d’une rivière. Lorsque je leur ai demandé à quoi ressemblerait Hiperson si on devait le représenter par un tableau, ils m’ont répondu malicieusement qu’il serait « sans cesse changeant. Il s’y jouerait en son sein des histoires étranges, mais quelque part familières. Une peinture mouvante avec des pigments mobiles, sans que ce soit une vidéo ». Leur discographie va pleinement en ce sens.
Le premier album, No need for another history , aligne des morceaux entraînants et énergiques desquels on ressort revivifié comme après s’être baigné sous une cascade. Parmi eux, je noterai surtout « The Curtain », le rideau, par lequel Chen Sijiang explore un sujet qui lui tient à cœur et qui reviendra en force dans Bildungsroman . Un tableau qu’elle a peint en 2018 intitulé « Behind the curtains » (et visible sur son site internet ) illustre très bien la manière dont elle le comprend : à la fois ce qui cache mais également ce qui révèle.
Le second album, She came back from the square , est nettement plus rugueux, brut, instable et inquiétant sans perdre une miette de l’énergie du premier. Il a été fait dans l’urgence. Cela se ressent. Il ressemble à un laboratoire à sons ouverts où les différences d’intensités se succèdent, s’entremêlent et se brisent. Tel un typhon, il emporte dans ses périodes tempétueuses. Mais aussi, il lui arrive de se retirer pour révéler son œil dans des moments suspendus. She came back from the square est difficile à dompter, peut-être le plus difficile de toute la discographie de Hiperson, et récompense en même temps par ses perles que quelque rafale a fait émerger du sable. C’est d’ailleurs l’un des très rares (à ma connaissance le seul) album de rock chinois qui comporte un morceau, « The History », à la fois en chinois et en français. Selon leurs propres mots, leur idée initiale était de parler d’erreurs et d’incompréhension au sein d’une relation amoureuse, ainsi que d’excuses qui ne seront plus transmises ni entendues. D’un monologue, c’est devenu un morceau à trois voix, dont celle de leur ami Pierre pour la partie en français. Ce dernier se contente de répéter les mêmes mots en boucle, en en désagrégeant le sens par des interversions successives. Il n’y a peut-être pas de morceau plus emblématique de l’esprit Hiperson : un équivalent verbal à la métaphore picturale.
D’ailleurs leur sortie suivante réarrange ses pigments pour dépeindre un décor plus pastoral, dans lequel les mélodies sont imprégnées de fragrances florales et de la fraîcheur de la rosée matinale par temps brumeux. Les morceaux sont plus doux, plus rêveurs, de superbes balades qui invitent à s’autoriser un moment pour parcourir les routes sans toutefois chercher une destination précise. Dans Four seasons , il n’y a nulle crainte de manquer un but, un objectif, puisque déjà il rayonne autour de nous. Il constitue donc une très belle parenthèse qui se courbe autour de ses auditeurs et auditrices pour les apaiser de ses contours cotonneux. Mais je dirai aussi pas seulement, puisque si « Liangshang », « Tramp’s song » et « Summer Air » exhalent une atmosphère commune, c’est moins le cas pour « Strawberries ». Plus électronique, rythmé et métallique, il a déjà la pointe de son museau qui déborde sur ce que deviendra Hiperson avec son album suivant. Cela veut dire une oscillation superbement équilibrée entre une douceur nouvelle et une formidable énergie, ainsi qu’une condensation de tous les styles précédemment explorés en une maturation manifeste autant aux points de vue musical qu’esthétique que thématique.