Requin de Bertrand Belin
This is your song (101)
Persona , le dernier album de Bertrand Belin, est sorti en janvier. S’il n’est pas son premier, il marque assurément une étape dans la carrière de cet artiste touche-à-tout et attachant.
Belin a une voix grave, au timbre chaud, et une façon de manier les mots bien à lui : son chant se pose sur des textes truffés d’ellipses, où les mots sont condensés, souvent répétés. Mais jamais l’artiste ne cherche la facilité ni ne tombe dans la redondance. Il entend suggérer des choses plutôt que de les dire frontalement, et offre ainsi à ses auditeurs tout l’espace pour que se déploie leur imaginaire.
Les arrangements, souvent dépouillés, brassent tantôt du folk, tantôt de la pop. Ils sont peuplés d’habiles compositions à la guitare acoustique, de rythmes accrocheurs à la batterie, de délicates notes de piano et nappes synthétiques. On sent alors l’art de Belin balancer dans ses chansons entre deux pôles : la boucle rythmique, répétitive et entêtante, comme dans la chanson Sur le cul ou, au contraire, la profusion des mots, produisant une envolée poétique, telle une déambulation.
Dans « Requin », tirée de son album Parcs sorti en 2013 (titre qui est aussi celui de son premier roman), Belin dit ceci :
J’ai passé la journée, je ne peux pas dire où où. Tout se cabre, tout se plie, dans le souvenir (…) Il y avait bien quelqu’un, dans un parc, je revois bien quelqu’un, debout dans un parc, mal tenir, de là à dire, qu’il s’agirait de moi, de moi. Un vide, un blanc, à défaillir.
En quelques mots indécis, signalant des absences et des trouées dans le temps, Belin parvient à nous troubler, et à nous perdre avec lui dans sa ballade poétique.
Maniant une écriture ciselée, qui signe aussi la prose d’un écrivain, Belin conte, dans Persona , une série de fables tirées du quotidien, bien en phase avec notre époque, où surgissent des personnages anonymes : un président, un migrant, des travailleurs, un contremaître, mais aussi des animaux. On observe et on déambule dans des parcs, on se perd dans une forêt lointaine ou à l’opéra.
Sur scène, Belin est élégant. Il a des allures de dandy ou de crooner, mais ne se ferme pas du tout au public. Au contraire, on ressent en sa présence comme un relâchement, une forme d’abandon, un partage chaleureux. Il laisse son corps déployer, glisse puis se redresse. Il introduit quelques-unes de ses chansons avec des improvisations, des digressions drôles, des petites histoires cocasses. On se croirait au théâtre, au cirque peut-être. Son prochain passage à Bruxelles aura justement lieu dans le cadre du Festival Francofaune à la Madeleine le 7 octobre prochain.