Les Mots à Défendre
Quels combats animent nos sociétés actuelles ? Quels enjeux stimulent nos engagements ? Les week-ends du 10 et du 17 mars, le Théâtre National prête ses scènes et couloirs aux militantismes sociaux, queer et climatiques avec son tout nouveau festival entre littérature et performance scénique : Les Mots à Défendre.
« Si vous deviez mourir demain, quel est le message que vous souhaiteriez laisser au monde ? » C’est par cette phrase que Joëlle Sambi résume l’intention du festival qu’accueille le Théâtre National les week-ends du 10 et du 17 mars prochains. Les Mots à Défendre naissent de la volonté du théâtre de dédier un moment privilégié aux littératures, dans le but de revenir à l’art de l'oralité, de célébrer les mots , leur puissance, leur beauté, leur poésie… Des mots qui ici sont relayés dans des performances scéniques diverses et variées : on parle de lectures, de slam, de catch littéraire, d’improvisation langagière, de paroles musicales, de jeux théâtraux, de spectacles déambulatoires, d’installations in situ … Le tout ponctué d’ateliers d’écriture et de tables de conversation.
Ce nouveau projet biennal, à l’initiative de Pierre Thys qui assoit ainsi sa direction du théâtre , laisse pour sa première édition carte blanche à deux autrices militantes incontournables : Joëlle Sambi et Caroline Lamarche , qui est d’ailleurs à l’origine de l’idée du festival . Les deux femmes sont rassemblées dans leur curation par une thématique commune : « Pourquoi nous battons-nous ? » Avec 31 formes inédites, la programmation vise ainsi à « ébranler nos manières de faire et de penser ; à combattre les horizons coupés » (Pierre Thys), à incarner nos besoins de résistance, et à s’engager dans des enjeux sociétaux avec un souci d’égalité, et d’inclusivité. Ces Mots à Défendre, ou plus communément les MàD , traduisent aussi directement une fièvre de créer, de transmettre, de se battre, de résister avec une certaine frénésie. « Mad », « fou » en anglais, que l’on peut d’ailleurs à la fois interpréter positivement comme négativement, comme une folie audacieuse, grandiose, extrême ou comme la folie du monde. Le festival se veut festif, débordant d’énergie, mais aussi percutant, porteur d’une volonté de bouleverser l’ordre établi et précurseur de changements.
Les Mots à Défendre empruntent leur accroche, « Pourquoi nous battons-nous ? », au film documentaire Why We Fight de Alain Platel et Mirjam Devriendt (2021), projeté au cinéma Palace ce 13 mars dans le cadre du festival. Why We Fight se présente comme une réflexion poétique et politique au croisement entre le film et la danse autour de la question de la violence et de nos réponses corporelles et physiologiques. Une thématique politique et créative reprise clairement dans les propositions scéniques du festival, mais aussi un titre révélateur de sa ligne directrice. L’inspiration langagière a été ici francisée en accentuant notamment ce « nous » (« Pourquoi nous battons- nous ? ») et en transformant la phrase en une forme interrogative, dans un souci d’inclusivité mais aussi d’engagement et de responsabilisation. Dans les MàD , les spectateurs et spectatrices sont autant acteurs et actrices du changement que les artistes qui mettent en scène des combats actuels, partagés par tous.
Le premier week-end, gouverné par Caroline Lamarche , s’axe de manière très étatique, avec un sentiment de révolte perpétuelle qui bouillonne en arrière-fond sur trois pivots : la justice climatique, la justice sociale et la défense de la sororité. Les différents Mots défendus entre le 10 et 12 mars parlent ainsi avant tout de violences qui touchent à l’intime. On retiendra surtout la proposition d'Anne Alvaro, Unica Zürn et Caroline Lamarche avec L’Homme-Jasmin , une lecture seule en scène d’un récit de la folie, une porte d’entrée dans les pensées d’une femme en proie à la maladie mentale. À voir également : l’ouverture sous forme de lecture par Lamarche et Sambi qui jettent des ponts avec le documentaire Why We Fight dans un manifeste engagé. L’entièreté du week-end sera également rythmée par un diaporama sonore, Toujours l’eau — Juillet 2021 , qui commémore les victimes des inondations de l’été 2021. Dans une série de photographies et de témoignages audio, on revient sur la catastrophe écologique et sur les réactions politiques en relayant la voix des personnes au plus proche des évènements : les rescapés.
Le second week-end, à l’initiative de Jöelle Sambi , s’oriente sur les combats menés par la communauté LGBTQIA+ autour de trois mots-clés interconnectés : urgence, engagement et queer. La curation cherche ainsi à commenter les formes de violences qu’on rencontre lorsqu'on n’est pas dans la norme. Chacune des trois journées/soirées s’articule autour d’une forme longue, à partir desquelles orbitent des formes plus courtes diversifiées. Parmi ces propositions d’envergure, RER Q — La sex party dont vous êtes le héros/l’héroïne retient particulièrement notre attention. La pièce de théâtre rassemble six autrices queer dans une représentation participative, où le public décide du sort des protagonistes. La forme longue d’ouverture de ce second week-end est également à ne pas manquer : un Catch Littéraire , présenté par Joëlle Sambi comme « une littérature qui arrive par les voies d’à côté, avec l’huile du catch, les mots du public et vous qui votez ! ». Dans ces courts matchs, les poétesses seront défiées d’improviser un texte sur base d’un mot tiré au sort. Ring, arbitre et vote du public au rendez-vous ! Durant ces trois jours, il sera également possible de profiter d’un « massage littéraire », moment de détente musculaire accompagné de lectures poétiques d’artistes.
Pour cette première édition, Les Mots à Défendre feront l’objet d’un focus sur Karoo, avec un article détaillé sur le second week-end, et une critique du film Why We Fight à suivre bientôt !