Créé au dernier Festival d’Avignon, Notre peur de n’être, le nouveau spectacle de Fabrice Murgia, se présente comme une réflexion sur les solitudes et le refuge dans les virtualités. Il emprunte ses codes au cinéma et ses thèmes au monde contemporain.

Un homme apparaît. Il est pieds nus. Il se tient debout à côté de ses chaussures. Une voix féminine narre sa solitude, celle qu’il vit depuis que sa femme l’a quitté ; celle qu’il vit depuis qu’il est entré dans le monde. Nimbé d’une musique électronique, le monologue de la narratrice se déploie. Certaines phrases s’y répètent, comme le refrain monotone de nos vies. Un écran se dresse devant la scène. Le corps de l’homme y est projeté. On le détaille, puis l’objectif s’arrête sur son visage. La voix continue sa litanie. Puis le noir. Des percussions agressives. Le titre du spectacle éclate sur l’écran sombre entouré de néons percutants. Comme un générique.

Notre peur Christophe Raynaud
© Christophe Raynaud

Nous assistons à une ronde, une succession de tableaux. Quatre personnages se dévoilent ou se cachent. Cet homme, qui n’est pas nommé, ne se remet pas du départ de sa femme. Pour un autre homme ou un autre monde ? Nous n’en saurons vraiment rien. À part que l’homme est triste. Déprimé. Une jeune femme, Sarah, pressée par le modèle professionnel qu’on lui a toujours imposé, promène son stress et ses angoisses sur scène. Une mère se soumet au mode de vie de son fils : enfermé dans sa chambre, il s’est coupé du monde. Sa mère l’entoure comme elle peut de son affection, essaie de le comprendre, tente de respecter son choix. Et derrière tout cela, deux narratrices féminines, présentes sur scène comme des fantômes ou la conscience des personnages, racontent leurs destins brisés, leurs angoisses si contemporaines. Chaque personnage se cache où il peut. L’homme discute avec la voix de son téléphone, une femme électronique qui lui rappelle sa femme et nous rappelle le film Her de Spike Jonze, sorti au printemps dernier. Sarah se confie en permanence à son dictaphone, lui raconte ses inquiétudes, ses pensées, les détails les plus divers de son quotidien. On pense furieusement à l’agent spécial Dale Cooper dans Twin Peaks de Mark Frost et David Lynch, qui adoptait déjà un comportement semblable. Le fils vit comme les hokikomoris, ces jeunes Japonais reclus chez eux, qui n’ont d’autre contact avec l’extérieur qu’Internet, des bornes automatiques et leurs souvenirs. Pendant que sa mère s’absorbe dans le soin qu’elle lui apporte, lui préparant les repas qu’il aime, lui rappelant d’aérer sa chambre, etc. Une mère, en somme.

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© Patrick Roux

Au croisement d’Un homme qui dort et d’Extension du domaine de la lutte, réactualisés en intégrant les nouveaux symptômes de notre ultra-moderne solitude, Notre peur de n’être pêche un peu par naïveté et par certains dialogues abscons. Fabrice Murgia dit avoir voulu réaliser un patchwork. Et comme dans cet assemblage de tissus hétéroclites, il arrive au spectateur de voir certaines coutures un peu grossières. N’en reste pas moins un dispositif inventif et ambitieux, avec l’utilisation de la vidéo et d’un plateau mouvant. Mais une question se pose : puisque certaines vidéos sont si réussies grâce aux gros plans des comédiens projetés au-dessus de la scène, pourquoi ne pas en avoir fait un film ?

2014
Le Théâtre National-Bruxelles : du 7 au 16 octobre
La Maison de la Culture de Tournai / Festival NEXT : 20 et 21 novembre
Le Manège à Mons : du 25 au 27 novembre

2015
Le Théâtre de Liège : du 27 au 29 janvier
L’Ancre et PBA / Charleroi : 10 février
Toneelhuis / Anvers : 26 février
Le Théâtre de Namur : du 3 au 5 mars

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Notre peur de n’être
Texte et mise en scène par Fabrice Murgia / Cie Artara
Production par Cie Artara et
Théâtre National-Bruxelles