critique &
création culturelle
Vous avez dit : « Lippe ? »
On veut la vérité !

Un article sur SOS Vérité joué au Théâtre du Flétry ? C’est l’occasion pour Philip de Saintange de remonter l’arbre généalogique du théâtre populaire bruxellois et de dévoiler les richesses du théâtre amateur.

« Oh que je n’aime pas ce garçon… »

Sa prestation dans le Mariage de mademoiselle Beulemans , reprise de nombreuses fois au Théâtre des Galeries, l’a rendu célèbre, grâce notamment à une captation-vidéo.  Cette production de la RTBF reste un petit bijou du spectacle théâtral filmé. Ajoutons que c’est en voyant cette pièce de Fernand Wicheler et Frantz Fonson, charmé par le truculent « brusseleer » que Marcel Pagnol a osé écrire avec l’accent de Marseille.  Le brasseur belge est devenu le père de César et mademoiselle Beulemans s’est transformée en Marius.

Si le grand comédien belge a porté haut nos couleurs nationales, c’est sous d’autres noms que sa descendance fait de même.  En effet, Genval, sa patrie d’accueil, est le siège d’un important théâtre amateur fondé par Lucien Froidebise qui ravit tant les spectateurs du Rideau que ceux des Galeries ou du National. Actuellement, les Compagnons du Flétry montent sous la houlette de Philippe Derlet, « comédien professionnel plein de talents et de créativités qu’on est heureux d’accueillir chez nous pour la quatrième fois », nous dit Pierre de Paduha, une pièce qui fut un grand succès dans les années 1970. « Ce serait un non-sens de vouloir l’actualiser, et de parler  d’euros à la place de francs belges, car cette comédie repose  sur des quiproquos téléphoniques. Donc pas de mobiles, ni de portables, ni de cellulaires…  Pas de GSM ni autres iPhones dans SOS Vérité , sauf si l’originalité du metteur en scène s’autorise une distorsion du temps et de l’espace.  Utopie et uchronie magiquement réussies dans cette scène ajoutée pour gonfler le rôle des deux jeunes aspirantes comédiennes que sont Louise et Émilie.

Mais que vient faire Jacques Lippe dans cette histoire, me direz-vous ?

Son esprit demeure à travers sa fille notamment.  « Le théâtre fait partie de ma vie, je suis tombée dedans quand j’étais petite », nous dit Jacqueline Lippe, sa fille et présidente de la troupe.  En scène, ce sont plusieurs générations qui brûlent les planches du petit théâtre brabançon (soixante-dix places, réservations indispensables).  En effet, la fille de Jacques Lippe, dernière héritière du patronyme Lippe, joue la mère de sa propre fille Muriel Martin (petite-fille de J.-L.) qui elle-même joue la patronne de sa propre fille Louise Verbeeren (et donc arrière-petite-fille de J.-L.).  Un des neveux de monsieur Beulemans, le père de Suzanneke (Christiane Lenain) et de Jacqueline, est également présent sur scène dans trois rôles fort différents. À l’image de son illustre oncle, Jeremy Holloway incarne de beaux personnages : un gangster, un violoniste et le chef d’un service administratif très kafkaïen.

Dans cette comédie de Pierre Thareau, Philippe Derlet a choisi de placer le portrait de monsieur Lippe, en tant que « fondateur de la fabrique de moutarde et de cornichons Percot de Dijon ».  Il explique qu’il eût été dommage de passer à côté de cette opportunité. Monsieur Beulemans était grand patron d’une brasserie bruxelloise, Jacques Lippe, trente ans après nous avoir quittés, trône en portrait aux côtés de ses fille, petite-fille, arrière-petite-fille et neveu, mais aussi amis et connaissances.  En effet, ne fut-il pas lui aussi metteur en scène dans le théâtre de la rue des Combattants de Genval ?

Quatre membres de la famille, mais aucun ne porte le même nom.

Est-ce grave, docteur ? Non que diable, ils pourront ainsi se faire leur propre label.  Parmi les autres comédiens, nous retrouvons Alain Rosbach en Alcide Carembois, menteur invétéré qui doit faire face à Satan, interprété par son épouse dans la vraie vie (Nicole Rosbach).  Jean-Claude Lefebvre est un comptable plus vrai que nature, sérieux, efficace et honnête juste ce qu’il faut pour faire face au contrôleur des impôts (Chantal Van Dessel). La distribution ne serait pas complète sans citer la jeune et talentueuse Émilie Eechaute qui, comme sa comparse Louise Verbeeren (l’arrière petite Lippe), interprète une demi-douzaine de rôles avec brio, efficacité et justesse.  Lucien Froidebise serait heureux de voir la relève assurée, même si c’est aussi grâce aux exigences du metteur en scène qui sait tirer parti des qualités et propositions de chacun et qui a spécialement adapté le rôle pour que les « jeunettes » aient des choses à défendre.  Il y a deux ans, Philippe Derlet avait monté Toc toc de Laurent Baffie, une excellente mise en scène d’un cran nettement supérieur à la production que les animateurs de RTL avaient jouée pour soutenir le Télévie, que nous avions beaucoup appréciée (voir Toc toc, Laurent Baffie frappe les trois coups ).  Nous n’avons pas pu assister à la programmation de l’année dernière, mais dans le petit bar du théâtre, on rit encore des Cent dessous , une comédie qui se déroule dans une société spécialisée en lingerie féminine devant faire face à la crise.  Il semble que « Philippe Derlet soit un spécialiste dans le domaine de la dentelle et qu’il a su tirer le maximum d’un texte cependant pas très riche », nous confie Reine-Thérèse Rasquin, spectatrice d’un soir, mais également présidente de l’ABCD, l’association des compagnies des théâtres amateurs du Brabant wallon.

Pourquoi faire du théâtre en amateur ?

Faut-il être fou pour prendre sur son temps de loisir à l’étude d’un texte ? Ou pour réfléchir sur un personnage, penser à une situation, construire des décors, déconstruire des idées toutes faites, confectionner des costumes, passer des soirées à faire, refaire, défaire, parfaire et contrefaire… alors qu’il serait plus simple de directement passer par la case : « Boire une Chimay entre copains » ?

Il faut une sacrée dose de folie douce, parce que c’est un fameux loisir qui demande autre chose que des muscles (ou pas) et un ballon (ou une raquette).  L’entraînement se fait dans les bibliothèques, à la recherche de textes, dans les salles de théâtre, car on apprend aussi en regardant les autres.  Cela n’empêche pas de fréquenter les stades.  Un loisir n’exclut pas l’autre. D’ailleurs, dans SOS vérité , nous rencontrons Satan en personne, avec lumières rouges et fumigènes, accompagnés de ses diablotins… Or, d’autres Diables, qui ont pour noms Axel Witsel ou Thibaut Courtois, ne nous font-ils pas trembler et vibrer eux aussi ?  L’enfer avec Éden, et Satan dans le petit paradis qu’est le Flétry dans SOS Vérité

« L’autre a toujours une vérité qui me manque… »

C’est le moteur qui a guidé à la mise en scène de SOS Vérité . Chacun est unique, chaque comédien, qu’il soit amateur ou professionnel, est unique, chaque metteur en scène a aussi sa touche personnelle.  La marque de fabrique de Philippe Derlet est sans conteste, l’originalité, la créativité au service de l’humour et du spectacle, sans piéger les comédiens, ni le public.  « On joue le vrai en faisant du faux, alors le faux devient vrai, le vrai est faux et donc le faux est vrai et le vrai vrai est aussi le faux faux… », aime-t-il à répéter.  « J’aime travailler cette matière vivante.  Une action proposée par un comédien est une porte d’entrée vers un nouvel horizon… J’essaie de ne pas fermer cette porte entrouverte. »  Et tout ça, simplement pour des applaudissements.  Des bravos et autres clap-clap-clap reçus directement sur le plateau ou par ricochet en régie ou en coulisses.  Rendons à César cette citation qui ne vient pas de Nabila, mais bien de Guy Gilbert !

Le pitch de la pièce

(Extrait du programme, Ph. D.) « Qui dit un mensonge en dit cent », dit-on.  Et il n’est pas le seul à le dire…  Alcide Carembois est très fidèle à cette philosophie de vie.  C’est une certitude : il est fidèle au mensonge !  Le seul geste sans artifices dans son existence, faite d’escobarderies, de charlatanismes et de fanfaronnades, sa seule vérité, c’est de croire aux pouvoirs de la mystification.  Toujours est-il qu’un défi lui est lancé.  Plus qu’un défi, c’est un pari, car notre homme est joueur.   Il y engage son avenir et aussi son lointain futur.  Lui qui ne crache pas sur le vin d’ici va devoir boire l’eau de là jusqu’à la lie, sans fard, ni feinte ou fiction.  Pendant vingt-quatre heures, montre en main, ce hâbleur réputé, cet illustre bobardeur légendaire  qui dissimule et sème des contrevérités à tout vent n’aura plus droit aux fourberies ni aux  galéjades.  Pour une fois, être digne de foi face à ses croyances, fidèle envers sa femme, objectif vis-à-vis des photographes, sans imposture avec les impôts, loyal par rapport à ses amis, sans mystère quant aux miss, cohérent, juste et sans langue de bois au bénéfice de ses électeurs, car ce patron moutardier brigue un poste de député, en dépit de ses fourmillantes menteries coupables.

En sera-t-il capable ?

Diable ! On Satan au pire, à Dieu ne plaise… puisqu’il a juré de dire toute la vérité sur ses mensonges !

Il était prudent de réserver.  Espérons que les voisins du Bé-Wé, Raymond Pradel, autre Beulemans télévisuel, les amis d’Ittre, comme le jeune Albert Delpierre, alias Léonil Mc Cormick, invitent la joyeuse troupe des Compagnons du Flétry et ses quatre générations de Lippe, au Théâtre de la Valette, à Ittre, scène créée, rappelons-le, sous l’égide de l’Ève du théâtre que fut monsieur Lippe…

SOS Vérité

de Pierre Thareau

mis en scène par Philippe Derlet

joué au Théâtre du Flétry, 14 rue des Combattants, 1332 Genval.

www.fletry.be