Cindy Herman : Comment résumeriez-vous votre parcours, comment décririez-vous votre évolution personnelle au fil de ces cinq années de formation à l’académie royale des Beaux-Arts de Liège ?

Cindy Herman : Comme on peut s’en douter, j’ai beaucoup évolué en cinq années et mes méthodes de travail et démarches également. Mais ce n’est pas tout.

Si je peux affirmer que mes méthodes de travail et démarches ont évolué, je peux aussi affirmer une évolution relative et parallèle dans ma manière de faire, filmer et aussi de penser.

Au début, ma volonté portait sur ma capacité à MAÎTRISER : la caméra, les logiciels, les effets...
Il s’agissait avant tout de savoir faire pour pouvoir mieux cerner, mieux raconter.

Au fur et à mesure de mon parcours, ce fut de plus en plus en ob- servant et arpentant, avec un cerveau analytique, en m’interrogeant sur mon regard, ma manière de voir, ma manière de m’interroger, d’agir, de réfléchir, en m’interrogeant sur ma méthode et sur mon processus que j’ai réussi à rendre vivante ma perception, mes idées, mon expression, mon point de vue, ma singularité-personnalité. C’est le savoir regarder et réfléchir qui m’a permis de savoir faire, de savoir mettre en forme, mettre en place, capturer, représenter, partager un regard.

Aujourd’hui, ce qui est important pour moi, c’est moins l’« œuvre d’art » finale que la DÉMARCHE pour y parvenir qui m’intéresse, le sens caché, l’intention emprunte au résultat, l’ensemble de l’évolution du projet plutôt que sa finalité.

D’ailleurs, ce que je veux faire, présenter et partager, ce ne sont pas « des œuvres d’art » (pouvant être « jolies », intrigantes ou vendues), ce qui m’intéresse c’est la démarche, sa représentation, sa mise en réflexion, la tentative de sa mise en forme et de sa communication.

D’ailleurs, l’art réel ne serait-il pas plus la traduction d’une démarche plutôt que la création d’une œuvre ou d’un résultat fini (et souvent matériel et/ou tout du moins observable) ?

Dans mes premiers travaux, je me rends compte sous le regard que j’en ai aujourd’hui, que j’ai toujours travaillé sur les mêmes thèmes, selon une démarche constante.

Il y avait un déjà-là, un déjà ancré.

Cependant, ils étaient inconscients, ignorés et dès lors moins assumés et/ou moins aboutis.
Heureusement, peu à peu, l’inconscient et l’ignorance ont cédé la place à la prise de conscience, prise en connaissance et m’ont permis une réelle évolution tant dans ma manière de faire que dans ma manière de percevoir.
Et ce ne fut pas de tout repos !

Personnellement, je pense avoir beaucoup évolué au fil de mon parcours scolaire et celui-ci m’a permis une définition progressive de mes valeurs et intérêts dans mes projets, ainsi que ce sur quoi je veux travailler, ce que je veux comprendre, observer, ce que je veux montrer, donner à voir, proposer.

Par ailleurs, je me suis aussi dirigée progressivement vers la liberté d’expression.
Effectivement, étant partie de la vidéographie pour m’exprimer, ma démarche s’est voulue de plus en plus multidisciplinaire. Tous les moyens sont bons, pourvu que chacun offre au précédent une part de complémentarité !

Au fil de mon cursus, j’ai donc appris à ne pas me cantonner à un seul domaine, dans un seul moyen d’expression, mais au contraire à utiliser tout ce qui était à ma disposition pour écrire mon travail, pour mettre en images, en temps et en espace mon projet, ma démarche, mon « œuvre d’art ».

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets futurs ?

C.H. : Tout d’abord, je ne peux répondre correctement à votre question si je ne vous précise pas qu’il n’y a pas vraiment d’« actuellement » mais plutôt de « constamment ».

Effectivement, mon travail est de ceux que l’on pourrait qualifier d’inépuisable.
Il fait partie de moi, de ma construction, de mon évolution, de ma manière de voir, regarder, percevoir, agir, interpréter, communiquer, partager...

Il n’y a donc pour « projets futurs » qu’une éternelle exploitation de mes thèmes et de moi- même.

Enfin mes projets et ma démarche prennent appui sur nombre de « thèmes », qui parlent souvent plus que moi. C’est-à-dire des thèmes récurrents et inhérents, souvent inconscients au départ, des thèmes définissants qui en disent long, parfois plus que je ne pourrais dire moi-même à propos de moi.

Des exemples ?
Dissolution, déformation, distorsion, trouble, flou, miroir... Éphémère, temps...
Conservation, vaine, troublée, jamais totalement acquise... Caractère cassable, fragile, précieux...
Mort, disparition, deuil...
Angoisses, peur...
Miroir, eau, aluminium...
Transparence, verre(s), lentilles, vitres, bocaux, boîtes... Traces, résidus, particules, fragments...
Collection, curiosités...

Bref, de nombreux guides, de la nourriture et un enrichissement pour ma démarche, mes projets, mes envies-besoins de création et pour le(s) sens.

TOUT fait partie de mon projet.
Puisque mon projet c’est MOI.
Qu’il a commencé à ma naissance et qu’il se finira probablement lors de ma propre mise en boîte.

Pourquoi avoir classer l’artiste dans le profil des serials killers ?

C.H. : Avant tout, j’aimerais préciser que malgré ma manière de travailler et ma démarche très collectionneuse et portée au classement, je tente plus que tout de m’éloigner des catégorisations et des classements.

À nouveau, j’interprète et donne à voir ma propre manière de faire, d’agir et de percevoir, je ne classe pas ou seulement dans ma manière de « ranger », de mettre en forme et en espace.

Démarche, classement, fiction.

La démarche, le processus, le mode opératoire, l’entraînement et le perfectionnement de l’artiste, je les perçois effectivement comme ceux d’un tueur, d’un serial killer .
Pour moi, l’artiste tout comme ce potentiel tueur sont tous les deux des prédateurs aux actes réfléchis et « obsessionnels ».

En tant qu’artiste on vacille parfois entre la prédation (l’avant l’acte) et la scène de crime (mise en scène des trophées).

Dans mon travail, j’observe, traque, capture, mixe, triture, représente, détruis, décompose, fragmente, collectionne et anéantis.

Certaines de mes démarches et travaux personnels m’ont vraiment donné l’impression d’être un serial killer prêt à bondir sur sa proie, caché dans l’ombre, attendant le meilleur moyen pour agir, traquant sans que les proies ne s’en doutent, observant, collectionnant et admirant ses petites récoltes. Les retravaillant ensuite à son image, les manipulant, les rendant particulières et à sa propre sauce.

Et pour connaître la réponse aux questions : « Vous semblez accorder beaucoup d’importance à ce que vous appelez la "démarche". Pourriez-vous m’expliquer en quoi elle consiste et pourquoi lui accorder tant d’importance ? », « Pourrions-nous dire que, dans votre travail, vous dressiez un portrait de la réalité ? » ou encore « Je profite que vous évoquiez le terme de "correspondances" pour que l’explicitiez davantage dans la mise en œuvre de votre travail ? », il faudra lui demander personnellement quand vous la croiserez !