critique &
création culturelle
Je ne veux voir
qu’une seule tête !

Notule sur une sculpture pas comme les autres.

Anderlecht, quartier de la Vaillance.

Une sculpture en bronze à hauteur de regard, sept palmipèdes sur un muret de béton au milieu de la place. Pas de quoi effaroucher le passant.

Ces canards sont pourtant de redoutables provocateurs. C’est qu’ils ne se contentent pas d’une molle queue-leu-leu et optent pour un radical et généralisé bec-dans-le-cul.

Fort peu subtil dit comme ça.

La force de ces volatiles est pourtant leur discrétion. De dimensions modestes, ils ne font qu’un — une seule et même pièce d’apparence anodine si l’on n’y prête attention.

En tête de cortège, le canard le mieux loti se tient ferme sur ses deux pattes. Il paraît sûr de lui, assure le sérieux de l’ensemble. Il est le guide, que les six autres suivent aveuglément. À l’arrêt près du bord, il évalue avec calme la situation. Aucun de ses congénères ne contestera la décision qu’il prendra peut-être.

Comment le pourraient-ils s’ils n’ont le droit ni à la parole (je veux dire au cancanement) ni au coup d’œil extérieur, sans parler ici de l’ouïe et de l’odorat ? S’ils ont un corps, ils n’ont guère de tête puisque leur cou est enfoncé dans le rectum du camarade qui les précède.

Dès lors, c’est un cou interminable qui semble traverser le corps des six premiers canards (le septième est préservé de l’outrage).

Un seul cou, et un seul chef.

Tout cela est parfaitement visible — il suffit de s’y arrêter un instant — mais passe inaperçu facilement tant l’unité stoïque de l’œuvre — la chaîne des sept canards — prime sur le supplice des pauvres anatidés.

On se souviendra que l’auteur de cette œuvre mémorable et réjouissante est aussi le concepteur de la très troublante machine Cloaca 1 .

Apostille. Comment ne pas citer ici l’interprétation officielle de notre sculpture. « [Elle] nous parle de mobilité douce, du retour au temps où la circulation était moins intense et où l’on pouvait voir les canards en file, traverser la chaussée en toute quiétude. On peut également y voir une allusion aux files de voitures, emboîtées les unes dans les autres, bloquées dans le trafic. »2 .

Même rédacteur·ice :

Gare ô canard

Œuvre de Wim Delvoye

2002