critique &
création culturelle
Mötley Crüe, la fin des quatre ordures dans le vent

Il y a des années de cela, Pierre Desproges se moquait affectueusement de Gainsbourg en le décrivant comme le seul génie qui ressemble à une poubelle . Une fois n’est pas coutume, notre Monsieur Cyclopède se trompait lourdement, et c’est tant mieux !

Soyons honnêtes, s’il n’existait qu’un seul génie sur la Terre dont le physique (ainsi que le mental, ces choses-là vont souvent par paire) s’apparente à un déchet, notre vie serait bien moins palpitante. Admettons-le, il est bien plus épanouissant pour l’âme de suivre, d’apprécier et de défendre un artiste passant sa vie à foutre le bordel partout où il passe qu’un artiste unanimement apprécié pour la seule raison que ce qu’il fait est « beau ».

Aujourd’hui, nous rendons hommage à quatre poubelles qui se sont rencontrées un jour par hasard pour former l’un des groupes les plus improbables de l’histoire de la musique. Voyez plutôt : nous avons, dans l’ordre, un chanteur dont le physique et la voix pourraient appartenir à un palmipède (Vince Neil), un guitariste atteint d’une maladie génétique l’empêchant techniquement de jouer de la guitare (Mick Mars), un batteur tapant aussi fort sur ses fûts que sur sa femme (Tommy Lee) et enfin, leader de ce joyeux foutoir, un bassiste qui, à lui tout seul, a probablement consommé plus de substances illicites que les trois autres membres du groupe réunis (Nikki Sixx). Probablement conscient de l’incohérence totale de son projet, le quatuor se baptise Mötley Crüe (littéralement : club hétéroclite). Nous sommes en 1980, et l’un des fers de lance de la vague glam rock vient de naître. Le groupe, caractérisé par une section rythmique à toute épreuve (le duo Sixx/Lee), une guitare folle en électron libre et une voix frôlant la mauvaise parodie de Donald Duck, est principalement influencé par les géants du hard rock de l’époque, à savoir Kiss, Aerosmith ou encore, leur référence ultime, Alice Cooper. Si l’on prend également en compte leurs tenues provocantes et leur attitude plus que politiquement incorrecte, il était impossible, inconcevable, que Mötley Crüe ne rencontre pas le succès.

Mötley Crüe, dans toute sa splendeur !

Durant des années, nos joyeux lurons incarneront l’essence même de l’expression bien connue sex, drugs and rock’n’roll . Les abus se feront dans tous les sens : les membres du groupe se rappellent par exemple à peine l’enregistrement de Theatre of Pain , leur troisième disque. L’un séjournera en prison pour homicide involontaire, l’autre passera plusieurs mois enfermé dans une maison avec Lita Ford (chanteuse du groupe The Runaways) en tant que pseudo-compagne, mais surtout drug buddy . Mais décrire la carrière et la déchéance de la formation n’a en réalité que peu d’intérêt, car tout a déjà été dit dans ce qui est considéré comme l’un des meilleurs ouvrages jamais écrit sur le rock : The Dirt . Cette autobiographie écrite à huit mains raconte en détail la vie ainsi que la mort du combo, survenue en 2001. Mort ? Oui, mort. C’était obligé, il suffit d’observer le groupe deux secondes pour voir que ça allait finir par exploser. Il est même étonnant que ce cocktail de personnalités régressives ait tenu aussi longtemps.

Sauf que non, on finit par avoir l’habitude de toutes ces simagrées. Un groupe se dispute, explose, et se reforme cinq ans plus tard en sortant un disque, la plupart du temps médiocre, qui lui donne une nouvelle raison de faire le tour du monde. Cette démarche de plus en plus courante est pratiquée pour plusieurs raisons : soit pour faire de l’argent, soit parce que les membres s’ennuient, soit pour faire de l’argent, soit parce que leurs projets personnels ne marchent pas ou encore, principale raison : pour faire de l’argent. Et, contre toute attente… C’est exactement ce qui est arrivé. On est en 2008 et le mastodonte Mötley Crüe renaît de ses cendres (de cigarette, bien entendu). La surprise, c’est que Saints of Los Angeles , l’opus sorti pour l’occasion, est probablement l’un de leurs meilleurs disques. En effet, la galette retourne aux sources du hard rock burné et catchy. Chaque morceau a le potentiel de devenir instantanément un classique du groupe, le jeu de guitare de Mick Mars frôle la perfection et les paroles, inspirées de The Dirt , forment un ensemble homogène et puissant. De plus, les concerts qui suivirent furent tout aussi bon que la production studio. L’incroyable se produisait sous nos yeux ébahis de fans complètement subjugués par ce tour de force. C’était la renaissance d’un groupe autrefois condamné qui parvenait à revenir plus fort, plus sobre et rempli de motivation. Bref, une cure de jouvence. Jusqu’à ce qu’ils décident de raccrocher, encore, il y a quelques semaines, ces idiots. Sauf que cette fois, ils veulent frapper fort, ils veulent qu’on se souvienne d’eux. Ils veulent, une dernière fois, être Mötley Crue.

La solution finale

On les connaît, ces groupes qui décident d’arrêter et qui font « une dernière tournée en guise d’au revoir ». Ce concept, il a fallu seulement dix ans pour que plus personne n’y croie. Pour cause, quand Scorpions fait sa tournée d’adieu depuis maintenant cinq ans ; quand Judas Priest annonce une série de concerts sous le nom Epitaph avant de préciser qu’ils continueront de jouer de temps à autre ; enfin, quand Ministry effectue trois Farewell Tour en moins de six ans, il y a matière à se poser quelques questions. Ces questions, Mötley Crüe se les est posées, puis y a répondu à sa façon, tout en mettant une belle tatane aux groupes cités plus haut.

The Final Tour. Pas The Farewell Tour ou le We’ll be coming back Tour. Non, ils sont catégoriques, cette tournée mondiale, qui devrait durer deux ans, sera leur dernière. Comment vont-ils s’y prendre ? C’est simple, ils vont tous les quatre signer un contrat leur interdisant de jouer ensemble après leur dernier concert. Il fallait y penser, il fallait surtout s’appeler Mötley Crüe pour y penser. Et comme si ça ne suffisait pas, ils ont décidé, comme toujours, de mettre les petits plats dans les grands. Pour commencer, les concerts devraient durer trois heures, coûter moins de 20 $ et nous proposer papy Alice Cooper en première partie. Ensuite, et c’est là que ça fait peur, The Dirt devrait être adapté au cinéma par Jeff Tremaine, le papa de Jackass (au secours). Enfin, Dodge sponsorisera la tournée et créera des publicités, ainsi qu’un véhicule, en l’honneur du groupe. Je vous propose de vous prosterner devant l’inutilité de cette information.

Pourquoi s’étonner finalement ? N’aurait-il pas été anormal que le groupe s’en aille en catimini par la petite porte ? Une dernière fois, Mötley Crüe va faire parler de lui et va en profiter, par la même occasion, pour dire merde à tous ces groupes qui se foutent de nous en vendant des places de concert à plus de 300 € ou qui nous promettent qu’on ne les verra plus jamais alors que le concert suivant, au même endroit, est d’ores et déjà programmé. Alors réjouissons-nous, et profitons de cette dernière occasion pour aller acclamer les Saints de Los Angeles.

Même rédacteur·ice :

Discographie
Too Fast for Love , 1981
Shout at the Devil , 1983
Theatre Of Pain , 1985,
Girls, Girls, Girls , 1987
Dr Feelgood , 1989
Mötley Crüe , 1994
Generation Swine , 1997
New Tatoo , 2000
Saint of Los Angeles , 2008