critique &
création culturelle
Le Roi Lion
à l’aube des millennials

En refaisant ma vie à l’ombre languissante de mon balcon, j’ai repensé à une vieille conversation entre amis. Je me suis emballée sur le mythe de l’amour salutaire avant de conclure que tout ça, c’était de la faute de Disney.

« Et la cendre blanchit la braise »
Aragon

Mon balcon serait une scène parfaite pour une toile de De Chirico. La lumière solaire y a une identité toute propre et particulière. Je m’imagine en train de saluer robotiquement les ombres et les magnolias sur lesquels je règne depuis un mois. Mon prince consort est un soleil printanier qui donne aux choses un air de mois d’août. Passée la frénésie de performer à tout prix, je ne remplis plus mon temps, je le prends. Du haut de mon balcon, je suis tour à tour un hologramme d’ É lisabeth II ou le jeune Simba présenté à une foule de bêtes euphoriques.

Beaucoup d’entre nous, ont grandi avec le Roi Lion, film d’animation réalisé par Rob Minkoff et Roger Allers, sorti en 1994. Une famille de lions règne sur la jungle du haut de son trône de pierre. Mufassa, le père, gouverne à l’aide de son conseiller, Zazou, un oiseau intègre et attendrissant quoique très agaçant. Il me faisait toujours penser à ma mémé Marthe. Le royaume de la jungle est en effervescence car Simba, le prince héritier, vient de naître. C’est Rakifi, le sage de la cour, qui le présente au monde en le soulevant au-dessus du vide par un geste aussi vigoureux que solennel. Le seul à être tenu à l’écart est Scar, le frère du Roi. Simba grandit, turbulent, curieux et légèrement arrogant. Un jour, poussé par son oncle,  le lionceau désobéit à son père, et se met en danger en se rendant en territoire interdit. Mufassa part alors à sa recherche et le sauve in extremis d’un troupeau de gnous. C’est à ce moment-là qu’arrive la scène la plus poignante : cherchant à leur échapper à son tour, le Roi s’agrippe à une falaise sous le regard de son frère. Alors qu’il lui demande de l’aide, Scar le trahit et le pousse dans le vide. Ce dernier  sème ensuite les graines de la culpabilité en Simba et lui conseille de s’exiler puis s’empare du trône.

Quand je déconfine mes souvenirs comme on dégèle une soupe, je me rappelle d’un film coloré et rythmé par des chansons dont je n’ai jamais oublié les paroles. Je peux les reprendre en cœur avec toute une génération. Qui ne s’est jamais surpris à chanter le bonheur en swahili, se dandinant sur Hakuna Matata ? Le Roi Lio n, comme tous les Disney, est un recueil incroyable de chansons entraînantes ou tristes dont se rappellent encore les adultes d’aujourd’hui. Mais au-delà de ça, il s’agit aussi d’histoires exploitant des thèmes que l’on retrouvera dans les classiques : l’amour, la jalousie, la loyauté, les liens du sang, le deuil, la culpabilité, la tyrannie ou encore, le sens d’une vie. On a un héros, une quête, des obstacles et des alliés. C’est l’apprentissage en condensé du devenir, du changement et du voyage que cela représente.

Dans le Roi Lion , l’enfant que nous sommes est confronté au deuil et ce peut-être pour la première fois (cela dépend bien sûr du contexte dans lequel on grandit et de notre vécu personnel). Il accompagne le lionceau à travers la douleur d’avoir perdu un père complice et aimant. Douleur d’autant plus insupportable qu’il se croit en partie responsable de la disparition de celui-ci. La plupart du film suit un Simba errant, brisé qui tente d’oublier son fardeau dans l’exil. C’est l’amitié de Timon et Pumba, la loyauté de Rafiki (qui signifie « ami » en swahili) et de Zazou et l’amour de Nala, son ancienne camarade de jeu, partie à sa recherche, qui permettront à Simba, le roi caché et éprouvé, de se pardonner et de reconquérir le trône en chassant  l'usurpateur despotique. Le Roi Lion , c'est prendre conscience que le deuil nous change et nous marque mais qu'il y a toujours la possibilité de surmonter la perte avec le temps.

Je ne fais pas ici l’apologie de Disney même si on pourrait le penser. Il y aurait tant à redire, déjà simplement sur l’industrie en elle-même . On pourrait lui reprocher d’être peu inclusive ou encore de mal adapter les histoires. La version originale de Pinocchio est par exemple une comédie noire signée par Carlo Collodi. Le pantin y est décrit comme un garnement infernal et finit pendu. Cette version a tellement déplu à ses  jeunes lecteurs que l’auteur italien a dû en réécrire une autre. L’histoire de Pocahontas est elle aussi romancée et n’a presque plus rien des faits réels dont elle s’inspire : la fille du chef indien de la tribu des Powhatans était encore enfant lorsqu’elle aurait sauvé le capitaine Smith, son ami. Ils n’étaient  donc pas amants.

On pourrait aussi dire que les films Disney versent dans le manichéisme et que l’angélisme ou la diabolisation dont font l’objet certains personnages est peu représentative d’une réalité où les êtres sont complexes et nuancés (même si la personnification du Bien ou du Mal n’est pas le propre de Disney). On pourrait certainement ajouter que les rapports de genre tels que appréhendés par les vieux  Disney laissent vraiment à désirer (un prince charmant qui vient sauver une princesse endormie comme dans Blanche-Neige ou dans la Belle aux bois Dormant . L’homme héroïque qui sauve la femme passive et ce mythe récurrent de l’amour salutaire). On pourrait aussi, sans aucun doute, avoir une lecture politique et idéologique des systèmes de pouvoir dans les Disney. Dans le Roi Lion , ce n’est finalement qu’une guéguerre d’héritage. Il y a juste un roi légitime et un imposteur, on ne remet pas en question l’idée qu’il y ait un roi.

Et finalement, on pourrait conclure que Disney, ce n’est pas de la culture. Ici, je m’interroge : qu’est-ce que la culture ? Le registre populaire dont font partie les Disney, n’est-il pas de la culture lui aussi ? Peut-on appeler culture ce qui est détaché, déconnecté de ce que connaît une majorité de gens ? De ce que cette majorité s’approprie et partage ?

Chers parents confinés avec vos enfants, si comme ma prof de français de rhéto vous comptez cacher l’existence des Disney à vos enfants dans un but éducatif, je vous dirai ceci en guise de conclusion : ne devons-nous pas apprendre à déconstruire nous-mêmes, accompagner dans cette démarche au lieu que le travail ne soit prémâché pour nous par un tri fait en amont?

Après tout, « C’est l’Histoire de la vie… »,  non ?

Même rédacteur·ice :

Le Roi Lion

Réalisé par Roger Allers , Rob Minkoff
Avec Emmanuel Curtil , Dimitri Rougeul , Jean Reno
États-Unis, 1994
89 minutes