critique &
création culturelle
Les Huit Montagnes
« Cette montagne n’a jamais fait de mal »

Felix van Groeningen et Charlotte Vandermeersch ont présenté leur film Le Otto  Montagne au festival de Cannes en mai dernier. Après My Beautiful Boy , le réalisateur belge revient avec l’adaptation du roman de l’écrivain italien Paolo Cognetti, paru en 2016  aux éditions Einaudi (prix Strega et Médicis).

Pietro, un petit garçon de la ville, se rend pour l’été en  vacances avec ses parents dans la montagne. Le seul autre enfant de son âge est Bruno, qui vit dans le vieux village montagnard de Grana avec sa famille. Il travaille comme casaro , fromager, avec son oncle. Les deux enfants se lient d’une amitié forte , et passent leurs journées ensemble dans la nature. En grandissant, Bruno reste dans sa montagne, il reprend la fromagerie de son oncle et y fonde une famille. Pietro, lui, doit faire face au deuil, il se cherche, se reconstruit avec l’aide de son ami d’enfance et parcourt le monde.

Le village se trouve au sein des alpes italiennes dans la Vallée d’Aoste. Un havre de paix  ensoleillé l’été et l’image parfaite d’une boule à neige l’hiver. Chaque été, la famille de  Pietro se rend à Grana. Giovanni, le père de Pietro, aime y faire des randonnées, il explore  méthodiquement la région à l’aide d’une carte. Ayant l’habitude de le voir tendu à cause du travail, le garçon y découvre un père passionné et attendri. Au fur et à mesure de ces escapades nous découvrons l’importance de la montagne dans le récit. Elle prend petit à petit une place de plus en plus majeure. Non seulement par ses paysages splendides, elle insère une dimension poétique et délicate. Mais elle prend également place tel un personnage à part entière. Elle sert de médiatrice pour les deux amis, elle est un prétexte aux retrouvailles, un peu à la Brokeback Mountain . Pietro se sert d’elle comme d’un refuge, il y trouve l’aide dont il a besoin.

Le directeur de la photographie, Ruben Impens, avec qui le réalisateur a déjà collaboré à plusieurs reprises , rend tendrement hommage à la narration par ses images. Chaque séquence est un tableau à admirer. Le rythme de ses plans est assez lent pour laisser le public s’imprégner de la sérénité de la montagne, avec des mouvements de caméras immersifs nous faisant sentir le mal d'altitude du jeune Pietro. Le travail sonore joue un rôle tout aussi crucial, notamment avec les différents accents et les insultes prononcées dans un dialecte italien. Tout est mis en scène afin de plonger le spectateur naturellement dans l’histoire.

À plusieurs reprises, le film m’a soutiré quelques larmes. Chaque personnage dévoile une sensibilité et une intelligence si rare et belle à la fois. Les deux enfants, qui se promettent à la fin de chaque été de se retrouver l’année d’après, vivent une amitié fraternelle déjà très profonde et unique. Le jeu de ces jeunes acteurs, Lupo Barbiero et Cristiano Sassella, est remarquable. Ils sont capables, à un âge si juvénile, de transmettre des émotions bien précises et délicates. Chacun à leur tour, ils m’ont étonnement émue par leurs regards et leurs interprétations. Une fois adultes, les échanges entre les deux garçons sont de plus en plus profonds. On reconnaît dès lors la qualité de la narration : on assiste à des discussions plus matures, avec de véritables remises en questions. On les voit grandir, aux travers de voyages comme ceux de Pietro en Asie. Il revient auprès de Bruno avec un esprit ouvert aux différentes cultures. Il partage avec lui le rituel des funérailles célestes, qui consiste à offrir un corps mort aux vautours afin que ceux-ci amènent l’âme du défunt vers les cieux et vers la réincarnation. Une tradition inconnue à notre monde occidental mais qui fait réfléchir, et dans le cadre du film, prend une dimension sacrée.

L’image du père est assez présente dans le cinéma de Felix van Groeningen. On le constate déjà dans My Beautiful Boy , qui retrace la relation entre un fils toxicomane et son père dévoué et sensible. Un père comme tout enfant méritait d’avoir. Le rôle du père tient encore une fois une place importante dans  son nouveau film, Le Otto Montagne . La figure paternelle est omniprésente, dans le temps réel mais également dans ce qu’il reste de lui, son héritage, ce qu’il a transmis à « ses » fils, ayant traité Bruno comme le sien. Pietro retrace littéralement les pas de son père à travers une carte géographique de la montagne, tel un parcours spirituel. Une manière de le retrouver et de se sentir proche de lui. La vue prolongée de ces paysages engendre quelques magnifiques scènes contemplatives bien qu’un peu longues parfois. On peut en effet ressentir une narration un peu trop littéraire entraînant quelques longueurs.

Le film se conclut dans les larmes, dans une beauté précieuse et des concepts spirituels touchants. Grâce à un texte bien écrit et interprété impeccablement, toutes les discussions autour de la vie prennent beaucoup de sens et questionnent le spectateur. Nous ressortons de la salle avec la soif de voyages et de découvertes. Deux heures vingt-sept à réfléchir à l’importance des relations familiales, à l’héritage, au spirituel. L'œuvre force le spectateur à se demander quelle est la place qu’il veut occuper dans ce monde. Le Otto Montagne de Felix van Groeningen et Charlotte Vandermeersch retrace le parcours de toute une existence. C’est une ode à la nature et à la vie, aux relations parentales et fraternelles.

Le Otto Montagne

Réalisé par Felix van Groeningen et Charlotte Vandermeersch

Avec Alessandro Borghi , Luca Marinelli , Filippo Timi , Elena Lietti , Lupo Barbiero et Cristiano Sassella
Italie, Belgique, France 2022
2h27