El Paraiso est le nom du quartier de Ronald (Francisco Bolivar), un jeune colombien débrouillard et inventif qui tente de nourrir sa famille en faisant la publicité des commerces locaux au guidon de son vélo. Il déambule dans tout le quartier, en hurlant les promotions et les heures d’ouvertures dans son mégaphone, pour quelques pesos en fin de journée. Ce quartier misérable, ironiquement appelé « le paradis », semble être un lieu oublié des autorités, aux abords de Bogota, la capitale. Cette ironie persiste dans le paradoxe constant de la situation géographique du quartier : sous un soleil généreux, entouré d’une nature luxuriante. La vue panoramique sur les toits et la lumière qui s’y reflète, les rythmes de musiques latinos distillent dans l’atmosphère une certaine  insouciance qui nous tromperait presque.

La misère est l’objet du film sans pour autant occuper la place centrale. Elle est ambiante, palpable, sur les murs des maisons, dans le prix des choses qui revient constamment, dans l’éducation pauvre des jeunes  du quartier qui pour certains, se tournent vers la délinquance ‒ moyen plus accessible du survivre dans l’immédiat ‒, dans les rapports hommes-femmes… Ce drame propose une fresque d’une Amérique latine qu’on oublie, au-delà de celle qu’on fantasme. Celle de la débrouillardise, celle d’une jeunesse enclavée (comme le bidonville de Ronald) et sans perspectives d’avenir dans un État qui l’abandonne. Tout ça dépeint dans les tons pastels et doux d’une Amérique qu’on idéalise : Une terre de la joie de vivre et de la légèreté. Colbert Garcia parle de ces deux Amériques-là. En prenant le parti de les dépeindre à travers la vie d’un jeune adulte, il lui donne une véritable force politique. Toute la puissance du propos réside dans le choix de montrer la misère sans y mettre une emphase particulière, de laisser le spectateur la constater et sentir lui aussi, au fur et à mesure, l’air irrespirable du manque de moyens. On se retrouve oppressé par le manque d’issues et d’opportunités de Ronald,  qui se montre toujours plus combatif à mesure que la détresse et l’angoisse prennent de plus en plus d’espace.  Le climat anxiogène est créé par ce contraste frappant : le soleil, la musique, la poussière, les montagnes contre la violence, le vol, les agressions, la prostitution. Les seuls moments où Ronald peut être un garçon de son âge, c’est en courtisant Lady, en riant avec ses amis ou encore en se rendant à la fête de la fille d’un des plus riches habitants du quartier. De quoi oublier… Mais les recettes sont maigres, son boulot de crieur ne rapporte plus assez, il doit trouver un autre moyen de gagner de l’argent.

Une mystérieuse dame apparue au début du film propose des contrats de travail à courte durée aux jeunes garçons du quartier. Ces emplois ponctuels sur des chantiers à quelques kilomètres de chez eux, garantissent une rentrée d’argent conséquente. Ronald sympathise avec cette dame marginale jusqu’à coucher avec elle. Il ne comprend pas son refus de lui donner du travail.

Silence au Paradis est un film passé inaperçu.  Pourtant, il est à la fois social et politique : son dénouement révèle de façon poignante l’étendue de la corruption de l’État colombien et son conflit avec les Farcs. Le quotidien de Ronald n’est qu’un prétexte, on le voit à la façon de filmer : il s’agit souvent de plans d’ensemble. Ce qui compte c’est sentir l’environnement et la tension qui le gangrène, le mensonge du calme apparent: quelque chose dépasse les personnages. Jusqu’à la fin du film, on ne connaîtra pas la teneur de la menace qui plane. Quelques gros plans  permettent toutefois de nous rapprocher des protagonistes, de palper leurs émotions, leur détresse, d’effleurer  leur humanité grâce à laquelle on s’attache à eux, d’être touchés par  leur amour qui les rend unique singulier; d’être frappés par  la froideur des corrompus qui semblent tout faire pour se détacher de leurs crimes, d’être interrogés par  la complexité de certains personnages. L’ensemble constitue le véritable drame qui sous tend le film.  Face à tout ça, on reste malgré tout, spectateurs, impuissants: le film constate et informe des tragédies qu’ont vécu plusieurs familles pauvres de Colombie. Il est une sorte de monument aux morts qui leur offre de ne pas tomber dans l’oubli à cause de l’ignorance.

Cette dénonciation est amenée comme un coup de fouet et c’est dans la conclusion de son œuvre que Colbert Garcia en fait un film percutant. Inspiré par une sombre actualité, ce drame nous offre un éclairage nouveau sur la guerre civile qui a déchiré la Colombie depuis le milieu des années 60.