Cavale russe est le dernier poème-fleuve du poète belge Célestin de Meeûs. Il retrace la fuite du poète à travers les villes, villages et paysages de la Russie ; une course qui nous laisse le souffle coupé.
Cavale russe est le cinquième recueil de Célestin de Meeus, édité dans l’élégante collection grise des éditions Cheyne. Le poème est en vers libres, sur une soixantaine de pages. Comme l’annonce le titre, c’est la fuite du poète qui est ici contée, vers « le fuseau continental le plus à l’est ». La première escale est Vladivostok, mais le poète pousse le périple plus encore à l’est, avant de finalement retraverser la Russie vers l’ouest.
Tout commence par un sentiment d’étroitesse :
C’est un vieux vendredi d’avril
c’est le vingt-quatre ‒ j’avais trois cartes
depuis des mois épinglées sur le mur
le plus étroit de mon appartement
Le confinement de ces cartes, synonymes de voyage et d’espace, sur un mur si étroit, trouve un écho dans la description que le poète fait de son pays natal :
[...]
une bande
de terre à la genèse de son relief
un territoire à peine constitué
de pauvres contours :
des infinis
flamands dans une pensée étroite
et des vallées wallonnes sans altitude
Mais les raisons de la fuite du poète, « en ce vieux vendredi d’avril » , se complexifient, et la figure d’un autre fait son apparition, et réapparaitra sporadiquement pendant le voyage :
j’avais trois cartes et je n’ai jamais su
si c’est pour te quitter ou pour me perdre
qu’en ce vieux vendredi d’avril je suis parti
Malgré la peur du départ « je passe / la douane la gorge et la tête pleines / d’angoisses ne sachant pas ne sachant même / jamais à chaque départ si rester là / n’est somme toute pas une fuite de plus », le poète prend l’avion vers Vladivostok, où s’arrête un instant sa fuite :
«
la fuite s’arrête ici
»
répète Youri
au bar sans nom
«
parce que derrière
c’est la frontière ou c’est la steppe
et l’océan disons que l’océan
il y aurait bien longtemps que nous l’aurions
conquis si ce n’était du vide
»
Mais le poète continue son chemin plus à l’est encore :
quitte à crever de trouille autant se faire la malle ‒ d’ailleurs
bien que Vladivostok se targue
d’être la dernière gare ce n’est pas tout
à fait encore le bout ‒ alors je rôde
Puis retraverse la Russie vers l’ouest, vers « cette plage d’Ostende où tout commence » :
J’essaye de me figurer à quoi rime un départ
si le voyage n’est qu’un retour
plus ou moins détourné
En lisant Cavale russe , on ne peut s’empêcher de penser à la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913) de Blaise Cendrars, long poème contant le périple du poète en Russie à bord du mythique Transsibérien. Cendrars était Suisse, il était donc originaire d’un petit pays, comme de Meeûs, et il avait soif de voyages ; les plus marquants sont ceux en Russie, mais aussi au Brésil. Les deux poètes décrivent les villes et villages par lesquels ils passent, mais plus d’un siècle séparent ces deux œuvres et des réalités différentes se dessinent : Cendrars évoque la révolution russe, tandis que de Meeûs parle par exemple des conséquences du changement climatique sur la Sibérie. Cavale russe est aussi plus un retour qu’un départ : le poète fuit son pays natal mais ne cesse de repenser au temps qu’il a passé avec un autre à la plage d’Ostende (une photo-souvenir de ce moment ne cesse de s’abîmer tout au long du périple) ; le périple commence immédiatement le plus à l’est, et le poète ne peut que revenir vers son point de départ. Cependant, on peut noter qu’un certain sentiment de nostalgie émerge de la lecture de ces deux œuvres.
Rares sont les signes de ponctuation dans ce poème, ce qui renforce l’impression de course, de cavale. Le texte, plein d’observations et d’images, est dense, et on arrive à bout de souffle à la fin de Cavale russe , mais on est reconnaissant d’avoir la tête remplie par la poésie de Célestin de Meeûs.