critique &
création culturelle
La création littéraire
débarque à La Cambre

En cette rentrée 2016,

En cette rentrée 2016,


Gilles Collard coordonne,
à l’École nationale supérieure
des arts visuels de La Cambre,
une toute nouvelle formation
entièrement dédiée à la création littéraire :
l’Atelier des écritures contemporaines. En quoi consiste la formation proposée en septembre et qu’offre-t-elle de plus qu’un atelier ou qu’un guide d’écriture qu’on pourrait lire chez soi, par exemple ?
Gilles Collard (photo de Peggy Vallin)

La création littéraire en tant que matière enseignée à l’université existe en francophonie depuis pas mal de temps au Québec, et depuis 2012 en France à travers des masters au Havre et à Paris. Pourquoi ici en Belgique un certificat et pas directement un master complet ?

Au Havre, la formation est une forme de partenariat entre l’université 1 et l’école d’art. Il existe aussi le master à Paris VIII, qui a accompli un travail remarquable dans le champ universitaire. Je pense cependant qu’il s’agit de la première formation de ce type totalement portée par une école d’art, ce qui implique énormément de choses. Dans la logique même de penser que la littérature, la fiction, le roman, la narration, le récit, tout cela est un art contemporain comme un autre au même titre que la peinture, la sculpture, le cinéma, une école d’art comme la Cambre s’avère être un lieu essentiel à la nature du cursus. Une fois encore ce n’est ni mieux ni moins bien, et les intentions se recoupent, bien sûr, en même temps que la réflexion entre les porteurs de ces différentes formations. Mais il y a un enjeu qui est autre d’inscrire ce type de projet non pas dans l’université, au contact d’un savoir académique, pour l’énoncer trop rapidement, mais dans une dynamique de création qui rassemble des pratiques et interroge leurs rapports dans une école d’art. Sur un plan plus technique : pourquoi un certificat et pas un master ? J’aimerais bien que cela devienne un master. Je ne demande que ça. Si le pari est tenu, j’ai l’espoir d’ailleurs que cela le sera. Seulement, les contraintes administratives, budgétaires et protocolaires de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles ne permettent pas du jour au lendemain d’ouvrir un master avec ses lignes budgétaires et ses postes d’enseignement gravés dans le marbre. En revanche, nous retirons l’avantage, en ce début d’aventure, d’ouvrir un lieu qui se construit sur mesure, au plus près de nos désirs et de la vision que nous avons à la Cambre de cette formation. Nous avons beaucoup de souplesse et pouvons faire les choses très librement. Et nous avons également été reconnus par le pôle académique pour délivrer cette formation dans les clous officiels de la formation continue. Cela nous oblige cependant à trouver des financements publics et aussi privés. Nous avons par exemple le précieux soutien de la Fondation Bernheim qui nous permet entre autres d’accorder des bourses à cinq étudiants.

En lisant le programme du certificat, je me suis demandé quelle part la formation accorde à l’aspect communication, la présentation de son travail, tout le côté public de l’écriture, lectures, nouveaux médias, etc.

Que La Cambre devienne un maillon fort de la dynamisation du livre et du texte ici à Bruxelles, en Europe.

C’est un aspect auquel je tiens absolument. Il y a d’abord tout ce qui, à La Cambre, existe déjà : la présentation à la fin de l’année, la circulation des choses au sein de l’école, bien sûr. L’horizon même de la formation est qu’à la fin de l’année la personne qui a développé son projet puisse en faire un objet public, et soumettre son texte auprès d’un éditeur. Mais le résultat peut prendre aussi d’autres formes et être une étape ou l’aboutissement d’un projet artistique plus large qui peut prendre une autre forme que celle d’un livre au sens strict.

Et puis l’autre idée centrale, c’est celle de place forte, de base, de laboratoire sur la littérature, sur le texte, qui peut entrer en partenariat et en circulation avec d’autres lieux de la vie littéraire en Belgique et en Europe. Nous avons déjà mis en place un partenariat avec l’école d’art de Cergy-Pontoise, par exemple, et le travail qu’a accompli François Bon. Il faut que ça circule dans la mesure où, avec les inscrits, les écrivains, les éditeurs, le monde des lettres qui va y venir, La Cambre deviendra un moteur de cette circulation et aussi un relais. À Bruxelles, il y a vous, avec Karoo, bien sûr, mais je pense aussi à Bela, et à Passa Porta et certainement d’autres écoles, également.

L’idée est de créer un réseau ?

Absolument. Disons, un lieu, un espace de circulation. Que La Cambre devienne un maillon fort de la dynamisation du livre et du texte ici à Bruxelles, en Europe (La Cambre ayant déjà une position exceptionnelle avec ses ateliers de typographie et de reliure, par exemple). Et pour tous ces acteurs (éditeurs, lecteurs, écrivains, etc.), faire de cet atelier à La Cambre un moteur de la vie du texte.

J’ai été agréablement surpris de voir dans le programme un cours dédié à l’édition proprement dite. Comment ce cours va-t-il aider les étudiants ?

Il est très important pour moi qu’un éditeur de premier plan vienne partager la manière dont il lit un manuscrit, la manière dont il le reçoit, le travaille et, le cas échéant, le porte à publication avec tout l’engagement et tous les risques que cela comporte. Je suis très heureux, pour cette première année, que Gérard Berréby ait accepté ce rôle. La maison d’édition, Allia, qu’il a fondée il y une trentaine d’année est non seulement un modèle d’indépendance, avec la réussite que l’on sait, mais aussi l’exemple d’une manière forte de lire et de travailler les manuscrits. La maison ne publie, en littérature française, que des auteurs qui n’ont jamais publié ailleurs, donc un nombre considérable de premiers livres, qui vont s’inscrire dans un catalogue faisant dialoguer des pans entiers de l’histoire de la pensée et de l’art, avec des livres importants sur les musiques actuelles entre autres. Ce nœud de l’héritage, de l’histoire et du régime de la création actuelle me paraît capital, dans la mesure où il oblige à des prises de position fortes et des constructions intellectuelles singulières dont nous manquons trop souvent. Créer aujourd’hui, c’est toujours relire hier ; et inversement, savoir lire les anciens, c’est prendre position au présent.

Maintenant, la question obligatoire, cliché quelque peu mais tout de même : peut-on apprendre à écrire ?

Non, je ne pense pas qu’on apprenne à écrire. Je me suis forgé cette maxime : écrire ne s’apprend pas, mais un texte, ça se travaille. À cet égard, ce qu’une école d’art propose comme stratégies pédagogiques, comme manières de faire, à travers les logiques d’atelier pour travailler un projet qui est personnel et la construction de soi comme artiste et/ou comme écrivain, me paraît essentiel.

Autre chose, qui est très étonnante… On peut parler du creative writing aux États-Unis mais c’est à l’université. Dans les écoles d’art, le texte a toujours été le grand absent, comme si le texte était un outil transparent sans épaisseur par lui-même. Il peut juste être vu comme un outil qui traverse les autres disciplines. C’est un peu comme pour la danse. Je prends souvent cette comparaison-là. On a tous un corps, comme une langue. Chacun possède le sien et la sienne, mais nous n’en faisons pas tous la même chose. Certaines personnes décident de travailler leur corps pour devenir danseur, ce qui suppose une discipline et une exigence qui sont portées dans les écoles de danse. Je crois que pour le texte, c’est la même chose : la langue est commune à chacun, mais à un moment donné certaines personnes vont lui redonner son épaisseur et sa complexité, une force et une esthétique, une politique, une manière de mettre en mots et en texte. Et cela suppose un travail qui est similaire à celui du danseur concernant le corps. Il y a l’école et les maîtres, les spectacles à voir et à analyser. En littérature, c’est pareil. Il y a des livres à lire, des écrivains à écouter, des conversations, des histoires et des engagements à cerner et à comprendre. C’est l’idée :  redonner un voile, une épaisseur à quelque chose qui nous semble logique, transparent, pour le mettre en commun et le travailler dans la construction de soi et du livre que l’on écrit.

Pourquoi selon toi une telle différence entre ici et les États-Unis ? Pourquoi là-bas cela semble naturel de participer à des ateliers, à des cours de creative writing ? Pourquoi ici il y a une telle frilosité, cette sorte d’impression de « triche » comme si un auteur passé par ces cours n’avait pas assez de talent ?

C’est vrai qu’il y a un peu de cette idée-là, mais beaucoup commencent à s’en détacher. Je pourrais faire de l’anthropologie sauvage… En France, il y a eu Rimbaud, Lautréamont qui n’étaient pas vraiment seuls, mais qui ont toujours nourri pour certains ce mythe lyrique de la création sous les combles. Et on peut aussi penser qu’aux États-Unis, il y a, au risque de caricaturer mon propos, un rapport beaucoup plus pragmatique aux choses et à la création. Il n’y a jamais eu de honte à travailler un objet qui permettrait de subvenir à ses besoins. Il y a un rapport plus technique ou utilitariste, en tout cas matériel, à la substance intellectuelle. Aux États-Unis, reste l’idée d’un grand territoire, des pionniers, de la construction de leur maison, il y a un faire, une idée de se mouiller, que les choses ça se travaille, de mettre les mains dans le cambouis, sans l’idée de perdre une idée de la noblesse de l’art, ou que ce serait « moins bien ».  On peut y lire, de manière un peu sauvage, donc, une des réponses à cette question.

Un enjeu important et essentiel de la formation me paraît être aussi celui-ci, au regard de tes remarques : avec l’idéal romantique de l’étudiant seul dans sa chambre de bonne, on marginalise complètement l’impact politique, culturel, économique que la littérature ou l’écrit doit avoir dans un monde commun. Pour moi, il ne faut pas négliger l’enjeu politique et institutionnel qu’il y a à inscrire la création littéraire dans une école. L’endroit pédagogique est l’endroit stratégique pour faire bouger les choses. Dans la mesure où il y a des écoles de musique, d’art, de danse, de cinéma, on voit le capital symbolique et culturel de toutes ces disciplines. Mais aussi le développement économique et financier qui s’en dégage. Et ce n’est pas un jugement mais un constat : le parent pauvre a toujours été la littérature. Elle a le fonctionnement économique le plus fragile, le plus ridicule et le plus absurde. Je pense qu’il n’y a aucune fatalité là-dedans et que souvent c’est le milieu littéraire ou l’écrivain lui-même qui accentue de cet état de fait. Je refuse pour ma part cette contrainte et cet état des choses. Je préfère essayer d’inventer des formes qui sur le plan économique et politique changent la donne, parce que si on forme des dessinateurs de bande dessinées, des cinéastes et des danseurs, il n’y a aucune raison pour que la littérature y échappe. Je n’aime pas le terme de « professionnaliser » ; or, on remarque toutefois que, la formation mise en place, il y a une attente qui se crée, et cette attente crée une place dans l’espace public, pas négligeable, qui change la donne pour envisager le côté économique de manière plus forte, dans un monde où la situation économique d’un écrivain est souvent lamentable, celle des éditeurs fragile et des libraires incertaine. Il n’y a pas de fatalité, il y a un rapport à changer dans le régime de captation symbolique et économique du régime des arts aujourd’hui. Pourquoi le cinéma rapporte plus d’argent pour des choses qui sont pas toujours plus vues qu’elles ne sont lues en littérature ? Il y a tout un rapport de force à bousculer, un rapport symbolique, éthique et économique pour sortir la littérature de cet entre soi et de la surdité publique, politique qui l’alimente. Aller prendre les choses à la racine, donc :  le point de vue scolaire, pédagogique. Commencer par là. Mon rêve serait de créer une émulation collective qui touche l’édition, le livre, tous les aspects de la littérature. Potentiellement, je crois que le geste de création de cet Atelier des écritures contemporaines contient tout cela.

Dernière question qui est plus destinée aux futurs étudiants : quel profil cherches-tu et selon quels critères sont sélectionnés les étudiants ?

On a envie d’être surpris, de lire dans un projet, dans huit-dix pages, un potentiel, une envie de poursuivre, de prolonger, d’avoir sous les yeux un texte en gestation, un écrivain derrière. Être surpris par des formes, une narration, des manières de dire, de raconter, il peut y avoir du roman, de l’essai littéraire, de la théorie…

Tout l’équipe est impatiente de recevoir les projets et de les lire. Mathias Énard, Camille Toledo, Yannick Haenel manifestent ce désir d’être au plus près de ces textes à venir. Et puis il faudra construire un groupe de travail sur une année avec des projets suffisamment hétérogènes pour créer des intensités en dialogues, mais avec tout de même un terrain commun de mise en partage des expériences et du travail en cours.

Toutes les informations sur l’atelier : http://www.lacambre.be

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