critique &
création culturelle
Déracinés de Roman Firmani
Trouver sa place quand on a perdu ses repères

Déracinés de Roman Firmani raconte l’histoire d’une famille italienne déracinée de son pays, qui lutte pour survivre dans une culture étrangère à la sienne. Par le biais de ses personnages, l’auteur dévoile sa propre quête identitaire.

Tout au long de l’histoire de Déracinés , nous suivons la vie de Celso et de sa famille. Chaque chapitre marque une étape importante de leur parcours. Dès le début, nous entrons dans l’histoire sans connaître énormément d’éléments de contexte. Nous sommes plongés dans les années trente, avec Celso comme personnage principal. Il est accompagné par Mario et tous deux quittent l’Italie afin de trouver refuge en France pour vivre une meilleure vie. Leur chemin est parsemé d’embûches. Ils entrent illégalement en France à l’aide d’un passeur. Là-bas, Celso retrouve son beau-frère à Grenoble qui lui promet du travail. Avec Mario, ils travaillent d’arrache-pied mais cela ne semble pas suffire. En effet, quelqu’un les a dénoncés et ils sont désormais contraints de quitter la France dans les 48h. Aussitôt, ils décident de retenter leur chance en entrant ‒ cette fois-ci légalement ‒ en Belgique.

Celso et Mario parviennent à trouver refuge à Seraing, dans la province de Liège. Ils rencontrent d’autres familles italiennes ayant émigré vers la Belgique et logent chez eux. Très vite, ils sont pris pour travailler dans les mines. C’est un travail difficile, mais qui leur permet de gagner de l’argent. Celso en profite pour s’acheter une petite maison qui pourra accueillir sa femme Daniela et son fils Mauro. La famille est donc enfin réunie en Belgique, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils ont la paix. Là-bas, l’hostilité des Belges envers les Italiens se ressent de plus en plus, bien que la solidarité entre les familles immigrées est elle aussi forte. Le peu d’équilibre existant se brise lorsque la guerre éclate. Les troupes allemandes prennent possession de la Belgique. Les Italiens sont d’autant plus isolés quand l’Italie s’allie aux Allemands car aux yeux de leurs voisins belges, ils font partie des ennemis. À partir de là, la malchance s’acharne sur la famille de Celso. Tout ce qui compte pour eux, à présent, est de survivre.

L’histoire est racontée à la troisième personne du singulier. De cette façon, on suit plus librement les pensées et actions des différents personnages. Même si l’auteur permet aux lecteurs d’en découvrir plus sur tous les acteurs du récit, il ne se prive pas de donner plus de place à certains plutôt qu’à d’autres. Notamment à Celso, qui domine le plus le roman. On pourrait le considérer comme le seul protagoniste mais au fur et à mesure que son fils Mauro grandit, celui-ci devient de plus en plus présent. Nous suivons alors ses actions et ses pensées au même titre que son père. Plus tard dans l’histoire, Celso est séparé de sa famille, alors sa femme et son fils retournent en Italie. C’est à partir de ce moment-là que les actions de Mauro dominent le récit. La mère de ce dernier, Daniela, a quant à elle droit qu’à quelques chapitres. Par exemple, lorsque Mauro et Daniela arrivent en Belgique pour rejoindre Celso, l’histoire est focalisée principalement sur Daniela. Au-delà de cela, ses pensées et actions sont présentées mais sans grande profondeur.

En parlant de Mauro, il est intéressant de noter les parallèles entre la vie de ce personnage et celle de l’auteur, Roman Firmani. Il est très clair que Roman Firmani s’est inspiré de sa propre vie pour écrire cette histoire. Tout comme son personnage, il est né dans le Friuli. Il a émigré un an après avec sa mère vers la Belgique pour y retrouver son père qui travaillait dans une mine dans la province de Liège. Il retourne en Italie lors de l’invasion allemande avec sa mère mais dès la fin de la guerre, il émigre à nouveau en Belgique. Mauro suit le même parcours au même moment. Ainsi, on pourrait dire qu’il s’agit d’un roman autobiographique, dans lequel sont ajoutés des éléments de fiction. Plus que ça, il s’agit même de la quête identitaire de l’auteur. Ayant vécu une plus longue partie de sa vie en Belgique que dans son pays d’origine, peut-il prétendre être véritablement Italien ? Qu’est-il vraiment ?

Irrité et déçu, Mauro ne répondit rien. En Belgique, j’étais un macaroni et voilà qu’ici, dans mon pays, tout à coup je deviens le Belge ! Ce soir-là, pourtant, quand les gamins du village vinrent lui demander de raconter ses aventures, sa rancœur avait disparu.

De par son rythme, j’ai trouvé qu’il était difficile de se plonger dans le récit. Le parcours de cette famille italienne était certes intéressant, bouleversant même, mais l’auteur consacre très peu de lignes à chaque élément qu’il décrit. J’avais parfois des difficultés à m’y retrouver durant ma lecture vu l’abondance de personnages. D’autant plus que certains chapitres ne servaient pas particulièrement à l’histoire. Durant toute une partie d’un chapitre, par exemple, Mauro raconte qu’il doit s’occuper des chenilles pour qu’elles deviennent des papillons. Cela permettrait à sa famille de gagner de l’argent en vendant de la soie. L’auteur y consacre plusieurs pages, presque la moitié du chapitre. Il me tardait de lire les intrigues d’autres personnages, comme Celso qui était séparé de sa famille, emprisonné par les allemands.

Malgré cela, j’ai tout de même été touchée par la vie difficile de la famille italienne. Devoir émigrer vers un pays dont on ne connaît pas la langue, juste pour permettre à sa famille de survivre, puis assister à la mort de ses proches, subir la maladie, les guerres, le racisme… Je trouvais cela bouleversant. Tout était rapporté avec beaucoup de réalisme. De plus, dans la préface du roman, il est expliqué qu’il n’a pas été écrit pour susciter une révolution, mais plus pour faire un compte rendu du vécu.

Dans notre société matérialiste, à quoi bon lire un livre sur la séparation et le déracinement ? Qui s’intéressera à ces séquences d’une existence si dramatique ? Et pourtant, chacun de nous peut retrouver, à travers ces lignes, comme sur une photo, des fragments de sa propre vie.

Ce raisonnement peut expliquer, d’une certaine manière, pourquoi l’auteur ne s’est pas prononcé en profondeur sur certaines périodes de la vie de Celso, Daniela et Mauro. En effet, ce livre représente un témoignage d’un passé dans lequel de nombreuses personnes peuvent se reconnaître. Plus encore, il représente aussi le présent. La situation vécue par la famille italienne n’est pas un cas isolé de nos jours, au contraire. Il s’agit du quotidien de nombreuses familles. Dans les médias, on entend parler tous les jours d'événements du même style, que ce soit avec le conflit israélo-palestinien, des migrants qui tentent de rejoindre l’Europe par la mer malgré le danger, des guerres qui sont toujours en cours… C’est intéressant de pouvoir faire un parallèle entre ce livre et la réalité actuelle car il permet de voir les épreuves traversées à travers les yeux de ces acteurs et de mieux comprendre ce qu’ils doivent traverser.

Même rédacteur·ice :

Déracinés

Par Roman Firmani

Éditions du Cerisier, 2021

280 pages