critique &
création culturelle
Épissures de Francesco Pittau
Ordinaires de la poésie

Karoo revient, un peu tardivement, sur le recueil Épissures de Francesco Pittau publié par l’Arbre à paroles en 2020. Une somme poétique sans prétention et néanmoins bouleversante.

Francesco Pittau est connu, d’abord, pour ses si nombreuses œuvres tournées vers la jeunesse. Il y a quelques années, j’avais eu l’occasion de parler de lui , avec déjà beaucoup d’admiration, pour son récit-roman, Tête-dure publié aux Carnets du Dessert de Lune . Mais l’écrivain, formé à la peinture et à la gravure, est aussi illustrateur, éditeur… et poète. Un poète du quotidien, comme en témoigne le riche recueil sorti en septembre 2020 à l’Arbre à Parole, Épissures .

Plus qu’un recueil, on devrait dire un journal poétique, s’étirant sur des années de captation sensible, de petits croquis du quotidien, d’émotions saisies au vol. La lectrice1 peut facilement s’égarer dans ces quelque deux cents cinquante pages ; à la fois si semblables, par leur ton, leur simplicité, et si diverses, parce qu’elles dressent le portrait d’une vie, joyeuse et triste, monotone et mouvementée.

« Tapisseries

Nous sommes heureux comme les hirondelles

au printemps comme les loutres portées

par le fil de l’eau

tu me diras des phrases d’étoffe

je te murmurerai des oranges

et quand le sommeil posera ses mains

sur nos visages

nous l’accueillerons sans peur. »

Comment lire cette profusion d’ordinaires ? Difficilement en glouton, plus sûrement avec patience et sympathie, comme on irait se promener avec une amie ou une amour. Ou est-ce le recueil lui-même, et les mots de Francesco Pittau donc, qui font amitié et se baladent avec nous ? La lecture devient, en tout cas, une joie simple – un mot que certaines trouveront méchant mais qui, ici, incarne un soupir, une tendresse, de lire une poésie de l’instant, une forme sans orgueil, qui accueille toutes les lectrices, même celles d’un jour.

Les intellectuelles verront peut-être dans Épissures une sorte d’essai éthologique ou une tentative de réalisme social déguisé en vers. Peut-être est-ce cela aussi. Peut-être le lira-t-on dans cinquante ou cent ans pour (re)découvrir le quotidien de notre époque à travers l’œil d’un poète populaire. Mais qu’il dessine avec ses mots ou qu’il fasse d’eux des instantanés de la vie n’enlève rien à leur pouvoir présent. Un pouvoir, je l’ai déjà souligné, doux et chaleureux.

« Vient la nuit

Ainsi vient la nuit dans lutte accomplie

des bras des jambes et des langues

ainsi vient la nuit bercée par les palmes

et le frottement des étoiles sur la vitre

Ainsi vient la nuit en papillon

dans la complétude des corps partagés

Ainsi vient la nuit dans le huit des bras entrelacés. »

Francesco Pittau, touche-à-tout, infatigable écriveur, brasse aussi les influences, fait de toute l’histoire de la poésie son amont ; le romantisme trinquant joyeusement avec les échos bleus du surréalisme, alors que court en tous sens leurs descendances et leurs lignées de travers. Cependant s’il est une étoile, un témoin du cap qu’il se fixe ou une phrase qui lui est indispensable à naviguer entre les blancs, c’est bien la silhouette de sa compagne, de bout en bout présente. Épissures c’est aussi une belle ode – si le mot est trop galvaudé tant pis ! –, un pont pour relier, toujours et malgré tout, deux êtres.

Même rédacteur·ice :

Épissures

Francesco Pittau
L’Arbre à paroles, 2020
256 pages