critique &
création culturelle
Tableau d’une pauvre enfance

Pour Karoo, Thibault Scohier part à la découverte de la sélection 2016-2017 du

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prix des Lycéens de littérature

: voici

Tête-dure

de Francesco Pittau.

Tête-dure est un gamin pauvre, qui s’invente des histoires avec des cow-boys et des Indiens et s’attriste de toujours faire gagner les cow-boys. L’auteur expérimente, à travers sa narration, une double approche du ressenti enfantin : Tête-dure ne voit pas le monde comme le lecteur, il crée des mondes, qu’il peuple à sa guise, il ne conçoit pas l’espace et le temps comme un adulte. Souvent son regard capte la réalité sous un angle inédit, presque fantastique ; les heures lui semblent parfois des jours ou des années. Il aurait été facile de transmettre ces impressions à travers le style, de le rendre fantaisiste et biscornu comme l’esprit d’un enfant.

Au contraire, Pittau choisit de séparer radicalement la langue et le point de vue. Il décrit richement la richesse imaginative de son personnage. Le livre est écrit comme si un grand peintre s’amusait à dessiner à travers le prisme du dessin d’enfant. Ainsi, le babil n’est pas celui du gamin, mais les arabesques du narrateur parviennent à transmettre toutes les nuances de sa conception du monde, n’hésitant pas à jouer, par exemple, sur les onomatopées pour rendre la musicalité de son univers. Le point de vue devient dès lors un élément autonome : il permet de jeter une lumière crue sur le monde adulte, brut, intéressé, hypocrite, violent.

Car c’est un milieu très sombre qu’on déroule devant nos yeux, celui de la misère et des rêves échoués. Le père de Tête-dur boit, joue, frappe sa femme, qui frappera aussi son fils, et tous ces faits, loin de sombrer dans le cliché « misérabiliste », sont présentés comme l’illustration d’un cycle quasi naturel de la société. C’est la grande force et la grande faiblesse des romans naturalistes, de Zola à Lemonnier, de choisir l’option du déterminisme absolu, où les individus subissent leur milieu. Mais cette manière de représenter le social s’étant de nos jours presque éteinte, elle ne peut que donner aux lecteurs, en particulier jeunes, le choc d’une vérité trop longtemps occultée. Peu importe si elle n’est pas la vérité tout entière, que la littérature ne pourra jamais embrasser sans se désavouer dans son art.

La temporalité du récit est également au service de cette approche naturaliste : en suivant Tête-dure le temps d’un samedi (et de l’aube d’un dimanche), l’auteur installe l’idée de l’éternel recommencement. Cette journée, ce sont toutes les autres journées. Le tableau, même s’il est court, est en fait le tableau d’une vie et pas seulement celle de Tête-dure. Qu’on l’identifie par son surnom et non par son nom est symptomatique de son rôle d’incarnation d’une condition et pas d’un seul individu. Il y a des milliers de Tête-dure, qui ne sont pas identiques, mais qui vivent dans le même milieu, affrontent la même misère, et c’est l’exploit de Pittau de parler de tout cela en seulement nonante-quatre pages. La taille du roman a aussi l’avantage d’éviter une lourdeur de l’âme qui pourrait prendre le lecteur face à la vie fort triste du petit personnage.

On ne peut que féliciter les éditions Les Carnets du dessert de lune d’encourager cette approche littéraire à la fois classique et originale pour son époque. Je laisse le mot de la fin au livre lui-même :

Même rédacteur·ice :

Explosion de particules
Valentine de le Court
Mols, 2014
272 pages