critique &
création culturelle

Marées vaches de Maud Joiret

Dyonisos sous amphètes

Le nouveau recueil de Maud Joiret, Marées vaches, paru au Castor astral, sonne à la fois comme une synthèse et une porte d’entrée idéale dans son univers poétique.

Un monde pétaradant, fait d’incendies et de feux d’artifice en tout genre, un monde à perdre ses repères et dans lequel se retrouver. La poésie de Maud Joiret n’est ni claire, ni opaque ; elle fait se succéder des images, des symboles, des chapelets de mot-sens-association-invention qui créent un déphasage total d’avec la langue ordinaire. Mais c’est de cette manière qu’elle ouvre des portes closes, des passages ignorés dans l’esprit de ses lectrices (Dans cet article, le féminin fait office d’indéfini).  Plus un subréalisme qu’un surréalisme, une exploration sans limite et punk des soubassements, des non-dits, des tabous…

Marées vaches réunit et soude plusieurs écrits antérieurs et auparavant éparpillés. S’il ne prétend pas faire œuvre de cohésion, son approche follement généreuse suffit à rassembler ses différents éléments dans un même mouvement. De par sa nature, chaque lectrice sera forcément plus ou moins attirée par certaines de ses parties ; son « Calendrier perpétuel » et ses « Interludes marins » m’ont particulièrement transporté, peut-être à cause de leur dimension temporelle et cyclique.

je m’accorde aux saisons
elles cousent sur mes matins
une raison de croire
à un passé amphibien
à un devenir étoile

Même si Maud Joiret décortique tous les aspects de la vie, des plus banales aux plus intimes, certains thèmes s’imposent particulièrement. La violence de la société, le regard féminin, l’amour et la sexualité… on approche parfois d’une sorte de fête païenne, l’appel et le chant d’un désir dionysiaque et, oserait-on dire, féministe. La poétesse joue avec la brutalité sociale et ses chaînes, tire dessus, les brise et les transforme en jouet, en arme, en fétiche.

mes lèvres s'ouvrent sur ta sortie
de coquille
je ne cesse de te cueillir te parler depuis
une saison entière offshore
j’investis dans ta mise en bouche
te crée calcite
par à-coups de langue nourrie
aussi de restes de crustacés de squelettes
marins
fissile
qui se fendra
précipitera le monde dans un futur
accéléré carbone
je fais de toi l’actualité
la plus brute et désirable
une petite bombe

Tantôt foisonnante, tantôt concise, la forme des poèmes épouse l’état de leur narratrice ; je ne la trouve jamais meilleure que dans ces moments de compression maximal, quand elle parvient à resserrer toute la passion, toute la souffrance en quelques mots : « Je compte les hématomes de l’hébétude. » ; « prend garde à toi / quand je te lis. ». Même si l’on devine que ses textes prendraient encore une autre dimension, une fois performés ou récités dans la respiration même de l’autrice, ils jouent parfaitement leur rôle depuis leur nid de papier : s’infiltrer par nos rétines, se tailler un chemin jusqu’aux tréfonds de nos cervelles et nous en faire voir de toutes les couleurs.

Même rédacteur·ice :

Marées vaches

de Maud Joiret

Le Castor Astral, 2023

197 pages

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