critique &
création culturelle

La chambre et le barillet de Tom Buron

De grandes ombres se dérobent

À l’occasion de la sortie aux éditions Angle mort, il y a quelques mois, de son dernier recueil La chambre et le barillet, Karoo revient sur la production de Tom Buron. Une poésie toujours exigeante, bouillonnante et radicalement autre.

Cela fait maintenant des années que je suis avec attention la sortie des nouvelles œuvres de Tom Buron, depuis la découverte fracassante de Nadirs en 2020, puis avec Marquis Minuit l’année suivante. C’est peu dire que chaque publication est l’occasion d’un regain de curiosité. Comment son univers poétique, si particulier, si difficile à saisir et pourtant si frappant, va-t-il s’étendre, et peut-être évoluer, devenir autre chose ?

Avec le petit recueil La chambre et le barillet, publié sous la forme d’une très belle maquette fascicule par l’Angle Mort, le poète reste dans les eaux secrètes et négatives dont il a le secret. Hériter (proclamé) des écrivains du beat anglo-saxon, son écriture oscille harmonieusement entre musicalité d’une langue affolée et peinture par images superposées. C’est un art qu’il faut prendre le temps de lire, de dire, de tourner et retourner avec sa langue et puis sa tête, sans qu’on ne sache jamais vraiment qui des sons et des sens en détient les clés.

« J’ai l’impression de silences ratiocinant

trahissent nos appréciations des cadences

l’inconsolable grâce du départ

J’ai l’impression que la grande balle à rayon brûle

comme jamais je n’ai pu le traduire

et mes yeux tournent au safran »

Hésitant entre la grêle et le grelot, La chambre et le barillet nous aspire dans une opacité volontaire, un manteau d’ombres ; au-dessus se dessinent des saillies et des crêtes, comme de grandes statues immenses et menaçantes entre lesquelles il faut sinuer. En fond, un théâtre cruel, peuplé de silhouettes qu’il s’agit plus d’associer que d’identifier, à moins qu’on ait déjà posé un pied sur sa scène. Poésie néo-décadente, parfois dionysiaque, parfois sèche comme une lanière de cuir, toujours vagabonde, elle laisse à la lectrice1 le choix d’une compréhension qui sonne comme une rédemption. Où seuls les mots comptent.

Tom Buron apprécie toujours autant les rimes intérieures, les métaphores impossibles et un certain lyrisme déchu. La brièveté du recueil lui donne l’occasion de concentrer ses effets, de faire de chaque poème ou de chaque partie poétique un ressort tendu, dont la traction se transmet à la lectrice avec une vivacité surprenante.

« Ils font seuls ce pacte et prennent le pouls

car ils savent bien qu’ils sont immortels,

purpurins, hérésiarques,

tandis que ces fables fières

se succèdent et tous les jours

ont plus de succès

qu’ils n’en méritent ; »

L’exégète attentive assemblera sans doute matière à une critique de la société contemporaine et pourra recréer les affres d’une conscience trop sensible à un monde devenu purgatoire. La chambre et le barillet sont-ils l’outil d’un crime, d’une libération ou d’un suicide ? Ou des trois à la fois ? Même si cet opuscule est somme toute moins renversant que Marquis Minuit, il reste une preuve du perfectionnement extrême de Tom Buron dans son art ; peut-être touche-t-on là une sorte frustration : pourra-t-il aller encore plus loin, toujours plus loin sur le fil de la lame aiguisée de la poésie ? Ou découvrir de nouvelles routes, et nous surprendre subitement ?

Il se murmure que les lectures du poète rendent encore mieux le rythme et la vie intérieure de ses mots : les lectrices pourront donc rester attentives aux dates de ses prochaines prestations !

Même rédacteur·ice :

La chambre et le barillet

Tom Buron
Angle Mort, 2023
26 pages

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