La vie fulgurante de Marianne van Hirtum est un livret plein de sensibilité, publié par l’Arbre de Diane. Des vers qui volent entre nature envoûtante et solitude grise.
En me baladant sur les sites des maisons d’éditions, j’étais tombée sur L’Arbre de Diane, une maison d’édition qui met à l’honneur la poésie et les femmes, qu’elles soient rêveuses ou scientifiques, parfois les deux à la fois.
La couverture de La vie fulgurante m’avait retenue sur une des pages de présentation d’auteures : je ne sais pas ce qui, du rose ou du visage goguenard et mélancolique, clope au bec, m’a fait l’effet de vouloir m’attarder un peu. Marianne van Hirtum, belge, années 30, surréalisme, psychiatre. Quelques mots que l'œil égrène dans une lecture en diagonale.
Je me dis que je m’offrirais bien ce recueil, mais une personne a été plus rapide que moi et me l’a glissé entre deux auréoles de lait sur la table d’un café.
Dans les vers de Van Hirtum, je découvre une extrême liberté, celle qui ne redoute aucune limite. On se vautre contre des vents, emportés dans une nature animée, lyrique et terrifiante, plus vive que les corps que l’on croise ; eux sont absents, gris. Elle nous décrit ce qui semble être son environnement immédiat : près du sanatorium de Beau Vallon, un hôpital psychiatrique ‒ « des masques aux yeux absents ».
La vie, pas une, mais « La », ce déterminant qui singularise l’existence, quoiqu’elle soit, quoiqu’elle fût.
Fugace, elle passe sans le temps d’un regrets : dans l’enfermement, celui des lieux ou des étiquettes ‒ les malades ‒, celui d’une forme de réclusion ‒ le sanatorium ‒ dans un espace oublié où toutes les limites du rêve et de l'onirisme s’effacent, on s’échappe par l’imaginaire.
« Ma vie est derrière moi, très long couloir où je ne tourne pas la tête. »
C’est un lieu où la vie et la mort se côtoient en conscience, où la lumière ébrèche parfois le portrait d’une forme de désolation, sans temporalité. Même si j’ai soupçonné quelques fois des écrits sur l’adolescence, tant le personnage a l’air de s’émerveiller et en même temps d’être dévoré pour la première fois par une violente tristesse.
« Nuit épaisse comme la chenille fructifère des vouloirs
honteux d’être toujours eux-mêmes
aux abois du ciel ‒ qui n’est ni bleu ni noir
mais de prisme aveuglant.
Nous sommes un tigre bien aimé des loup celui dont l’heure n’a pas d’heure
qui ne résiste pas à mourir de son propre rire dément »
La vie qui ne fait que passer ‒ vie amante ‒ quelle est-elle, quelle est sa valeur ? Non universelle mais individuelle ? On se baladerait presque sur un chemin d’exil sans savoir d’où on serait chassés, sur une ligne d’horizon entre les contraires : la nuit et le jour, l’infini et le déterminé, le très grand et le très petit, la nature et l’homme qui se confondent presque, elle s’humanise, il se fond en elle dans des descriptions imagées qui débordent presque des vers eux-mêmes.
« Alors qu’une seule de nos larmes
serait plus redoutable que vingt Niagara de flammes éblouissantes. »
Je lui trouve des airs adelphes avec des vers d’Aragon dans Poème à crier dans les ruines , celui qui parle du cri d’un enfant dans une gare routière. Je sens l’écho de ce cri dans ses mots. Quelque chose de strident, de déchirant dans l’air, qui taille tout, y compris les codes. Et bien qu’elle soit, elle aussi, surréaliste, l’ambiance générale de ses textes me donnait l’impression d’être tombée dans un tableau de Khnopff ou de Paul Delvaux.
Son chez-soi à Paris était, parait-il, rempli d’objets étranges, funéraires, ainsi que de reptiles. Elle ne se définissait pas comme une artiste, ne voulait pas entrer dans des cases ou endosser des postures ; rester libre, en somme, d’écrire par nécessité. D’ailleurs, elle écrivait en cachette ; je l’ai lu au moment où je me demandais à qui elle s’adressait exactement. La poésie a parfois quelque chose d’ambigu en termes de finalité, c’est un tel murmure intime qu’on se sent chanceux de tomber dessus, comme par un heureux hasard. Je n’ai pas tout compris, je ne pense pas que ce soit grave, au contraire, tant mieux : on peut faire le tour d’un même vers et d’un même recueil plusieurs fois, à différents moments de la journée et de notre vie, et ça ne voudra jamais dire la même chose. Elle s’est envolée avec son intention, nous laissant en cadeau des mots qu’on peut s’approprier, un certain regard, éclair, sur les choses de la vie, mêmes infimes.
« Une heure va sonner : finie l’enfance
ses grandes fleurs de balatum
ses flammes rouges derrière l’oeil
des locomotives verticales. »
Je me suis quelques fois perdue dans une atmosphère parfois un peu pesante de répétitions, un peu rébarbatives mais jamais suffisamment longtemps que pour abandonner la lecture, on est repris, re-séduits au détour d’une trouvaille, d’une perle de mots :
« Un sourire de raison ivre au bord de la lèvre, qui se désiste à chaque instant »
Mon sourire n’est pas aviné mais repus et planant.