critique &
création culturelle
L’univers sur son étagère

Jens Harder , auteur berlinois de bande dessinée, s’est lancé dans un pari audacieux : raconter l’univers, du Big Bang jusqu’au futur de l’Homme, en bande dessinée grand format. Avec les deux premiers tomes, Alpha… directions et Beta… civilisations , il a réussi !

Le premier volume couvre la période du Big Bang jusqu’au dinosaures, le second part de la fin des sauriens géants pour se terminer juste avant l’arrivée d’un certain Jésus Christ…Le troisième tome, à paraitre avant 2020, s’arrêtera au présent et le tome censé clore la saga verra Jens Harder proposer sa version de notre futur.

Beau programme. Et le jeu en vaut la chandelle : les volumes ne font pas moins de 360 pages couleur, dans un format proche d’une encyclopédie illustrée. L’image est pertinente : le style de l’auteur se rapproche des gravures d’encyclopédies, et la bichromie permanente est du plus bel effet . Jugez vous-même

La qualité des dessins est époustouflante, mais bien d’autres aspects me poussent à crier « attention chef d’œuvre » . Comme il s’en amuse dans sa postface, l’auteur souligne que deux millions d’années séparent chaque case du premier volume ! Voilà le « vide » où notre imagination, emportée, glisse comme un môme fasciné…

Fasciné. C’est bien l’état dans lequel je me trouvais devant Alpha…. directions puis Beta… civilisation . Fanatique absolu de documentaires en tous genres où une voix off caverneuse me parlait de Mars, Titan, de trous noirs, de dauphins, de savanes ou de technologies incroyables, je retrouvais ici cette curieuse sensation de vertige : beaucoup d’images, des légendes minimalistes mais très documentées et précises, de même que les dessins (on ne dessine pas la faune du Carbonifère au hasard), pour un résultat d’une congruence terrible. À mi-chemin entre une encyclopédie illustrée et une œuvre d’art , la densité de l’ouvrage pousse à le relire encore et encore, pour saisir combien le choix opéré par l’auteur fait sens.

Le choix des dessins n’est pas seulement le lien logique entre l’objet et son illustration : il y a devant nous l’univers conté en images, oui, mais l’univers conté par Jens Harder. La différence est de taille. En effet, c’est là où l’art prend toute son ampleur . À côté de chaque illustration plus analytique, plus logique, il y aura des références à la culture pop, à la bande dessinée, à la musique, la littérature… bref, à l’univers culturel de l’auteur.

Tout l’intérêt de l’ouvrage : croiser l’univers lui-même avec l’univers culturel de l’auteur, le second toujours en retrait, comme un appel discret à l’imiter. Car il s’agit d’une reconstruction, d’une image élaborée par les hommes et pour les hommes de l’histoire de l’univers. Et cette image cohabite, dans notre monde personnel, avec toutes les autres.

Voilà pourquoi on croisera Mickael Jackson portant un chimpanzé à côté du dessin de Lucy, ou le tristement célèbre champignon atomique à côté de l’homo erectus, traînant sous le ciel étoilé de l’Afrique lointaine une branche consumée par le feu, inconscient de la portée miraculeuse et terrifiante de sa découverte…

Vous me direz, Google images fait la même chose : tapez « feu » dans le moteur de recherche, et admirez les différents symboles associés en un clic.

Pourtant, la magie opère , la singularité de l’auteur transparaît face aux théories scientifiques, et notre esprit voyage entre un monde intérieur et l’histoire de l’univers lui-même, afin que chacun puisse répondre, à sa façon, aux grandes questions : d’où venons nous, qui sommes-nous et où allons-nous ?

Même rédacteur·ice :

Alpha… directions

Écrit par Jens Harder
Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux
Roman
Actes Sud , 2009, 360 pages

Beta… civilisations

Écrit par Jens Harder
Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux
Roman
Actes Sud , 2004, 368 pages