On peut dire que l’incipit tient la promesse du titre : il y est question de jours d’abord, et presque aussitôt d’un livre .  L’intensité vitale, placée d’emblée sous le signe de l’exception — peut-être pas de jours… —, est mise en évidence par le contraste avec l’illusion de l’absence de vie.

On peut noter aussi la jolie rime interne vivre/livre , qui introduit sous nos yeux la chair de l’expérience vécue au cœur du livre lu.

Le paradoxe est magnifique : passer du temps — des journées — dans un livre, ce n’est pas passer à côté de la vie, ce n’est pas la laisser passer. Le livre préféré n’est pas préféré à la vie : il est ce qui la retient, ce qui mieux que tout la préserve pour nous. Lu avec délice et avidité, il densifie notre rapport au monde qui lui est extérieur — et qui semblait lui faire obstacle. De leur lutte apparente, naît l’intensité du souvenir, au point que les pages du livre deviennent feuilles intactes d’un calendrier perdu.

Quand on sait comment, par la mémoire (in)volontaire, l’édifice du souvenir a pu se construire, on comprend l’importance de ces moments d’enfance préservés, pris au piège heureux du livre préféré. C’est au centre même de la création à venir de la Recherche 3 que Proust place ici ses premières lectures.4