critique &
création culturelle
Une sortie de route réussie

Avec Double Faute , Isabelle Pandazopoulos revient sur le terrain de la littérature jeunesse pour interroger la subtile frontière qui sépare parfois l’enfer du paradis pavé par les désirs parentaux. Service gagnant !

Ludovic et Ulysse sont frères… avec seulement quelques mois de différence, on les prend souvent pour des jumeaux. Élevés par leur père pour devenir des bêtes de concours, des machines à gagner, des champions de tennis, ils sont soumis depuis leur plus « tendre » enfance et dans le plus grand secret à un féroce entraînement quotidien.

Jusqu’au jour où, blessé, Ulysse décide de tout arrêter pour se consacrer à la réalisation de sa propre vie. À partir de cet instant, toute la pression repose sur les épaules de Ludo qui est envoyé à l’académie Lebedev, l’une des meilleures au monde, et à qui tout réussira… jusqu’au drame. Un drame qui fera briser en éclats les rêves paternels et révélera toutes les failles d’une famille qui n’avait exposé au domaine public que sa face la plus lisse.

Margault trouvait Ludo inconsistant , c’est exactement ce mot-là qu’elle avait employé. Elle disait qu’il en faisait toujours un peu trop . Trop grand, trop musclé, il parlait un peu trop fort, riait trop longtemps. Elle trouvait ça épuisant, ce besoin de prendre toute la place, tout le temps, avec tout le monde.
— Oui mais c’est justement ça qui fait qu’il gagne tous ses matchs, avais-je aussitôt rétorqué.
J’étais étonné qu’on puisse émettre la moindre réserve quand on le rencontrait. À mes yeux, Ludovic restait une évidence. De beauté, d’équilibre, d’intelligence. Un vrai champion .
Elle avait fait la moue. Un silence. Elle cherchait ses mots.
— Moi, je le trouve perdu, en fait, et même terriblement fragile.
Je m’étais empressé de changer de conversation, excessivement gêné. Je lui en ai presque voulu. Mais quand je repensais à aujourd’hui, à ce qu’elle avait dit, j’en avais des frissons.
De quelle fragilité parlait-elle ?

Plus de trente ans après avoir vu Yannick Noah bondir dans les bras de son père après sa victoire sur le court central de Roland Garros, Isabelle Pandazopoulos interroge le désir de certains parents de fabriquer des champions, cette volonté farouche de tracer une voie unique dans laquelle s’engouffreront irrévocablement les pas de leur descendance. L’ancienne prof de lettres décortique ce qu’elle appelle avec justesse « ces sorties de route », lorsque volontairement ou non, consciemment ou non, les jeunes décident de s‘écarter de ce chemin tout tracé pour se frayer leur propre route… et des dégâts qui peuvent être occasionnés avant que chacun ne trouve finalement son équilibre. «  J’ai parfois l’impression que la vie d’Ulysse Alvès est en suspens. Je le laisse chaque dimanche soir et je le retrouve chaque vendredi. Sans déplaisir. Mais sans espoir. Comme on enfile un vieux jean, usé, un peu crade, mais gentiment confortable. Je ne me ressemble plus et c’est flippant. »

Même si l’on peut regretter un manque de nuances dans le développement de la psychologie des personnages, Double Faute nous interpelle et éveille en chacun, parent ou enfant, un questionnement. Pourquoi reporter nos envies et nos désirs frustrés sur nos enfants ? Où se situe la limite entre l’encouragement et la pression ? Comment les aider à déployer leurs ailes sans les briser ? Comment vivre sa vie sans blesser ceux qui ont tout sacrifié pour nous ? Isabelle Pandazopoulos ne propose pas de recette magique (malheureusement !), mais livre une biographie fictive, bien renseignée, sur le parcours et l’engagement d’un de ces futurs champions, d’une de leur famille et d’un de leur coach.

Même rédacteur·ice :

Double Faute
Isabelle Pandazopoulos
Gallimard Jeunesse, « Scripto », 2016
201 pages

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