critique &
création culturelle
Varlamov
La Terre abandonnée

Varlamov est l’histoire intrigante et muette d’une terre abandonnée par la vie humaine, et d’une humanité qui a elle laissé des traces indélébiles de son passage sur cette terre.

Varlamov est un splendide conte muet et énigmatique, qui emmène le lecteur à travers des paysages abandonnés par la vie humaine. Quoique. Les humains y sont tout de même présents de bien des manières, par les vestiges qu’ils y ont laissés, et par les cicatrices qu’ils ont infligés à la terre. C’est l’histoire contemplative d’un monde qui continue à vivre sans les hommes, et celle d’un buffle libre, dernier habitant de cette Terre.

La couverture est un appel à ouvrir ce livre format paysage. Varlamov . Une vague consonance russe, mais un auteur, Georges Peignard, avec un nom francophone. À l’intérieur, de vastes paysages – tantôt des plaines, tantôt un cadre montagneux – aux couleurs sépia. Varlamov rappelle par sa forme Là où vont nos pères , bande dessinée sur le thème de la migration, elle aussi muette et dans des couleurs sépia. On croit d’abord à un paysage idyllique, un brin de nostalgie face à une nature intacte disparue, à un moment figé dans le temps.

Une maison, quelques objets s’ajoutent occasionnellement aux paysages naturels, rappelant la présence des Hommes autrefois en ces lieux. Et puis un buffle, que l’on suit au fil des pages. De ce livre aux accents de vieilles photos émane un silence déconcertant, un calme qui annonce peut-être une catastrophe, dont seuls le lecteur et le buffle peuvent témoigner. Sans crier gare, des éléments viennent perturber cette première analyse, d’une nature laissée seule pour qu’elle s’épanouisse ; le site a été altéré plus profondément qu’il n’y paraît. Une forêt brûle, un oléoduc divise la plaine, et des souches d’arbres élagués s’étalent à perte de vue. Le silence amplifie alors le sentiment d’étrangeté et développe chez le lecteur une crainte et une fascination tout à la fois. Que s’est-il passé ? Pas de réponse, si ce n’est que l’on devine une exploitation abusive de la terre par l’homme. Sur cette terre maintenant abandonnée, le buffle mène son chemin, libre à présent.

Conte russe, fable écologique ou récit post-humaniste ? Difficile à dire, et plusieurs portes s’ouvrent à nous au fur et à mesure de la lecture. C’est la notice de l’éditeur, qui suit le récit, qui lève le mystère sur le nom de livre : « Varlamov » est en fait un personnage grand propriétaire de terres de la nouvelle La Steppe d’Anton Tchekhov. Les autres personnages le cherchent pendant une longue partie récit, et quand il apparaît enfin, il s’en va déjà. Comme le propriétaire de terres éponyme, Varlamov présente plusieurs pistes, un sens qui surgit et se dérobe tout à la fois.

Mais qu’importe les étiquettes, nul besoin de mettre de nom sur ce voyage fascinant et effrayant tout à la fois, plein d’énigmes, et de lectures possibles.

Même rédacteur·ice :

Varlamov

Georges Peignard
Le Tripode , 2019
64 pages