critique &
création culturelle
Don Carlos
La douleur d’un amour impossible

Le 30 janvier, je me rends à l’Opéra Royal de Wallonie (ORW), à Liège, pour assister à la première de Don Carlos de Verdi. Les quatre heures trente et les cinq actes de ce grand opéra à la française ne me font pas peur.

Avant toute chose, je me dois d’être honnête avec vous, chers lecteurs : j’aime particulièrement la musique de Verdi. Il va dès lors de soi que je ne saurais adhérer aux accusations de « wagnérisme » auxquelles l’œuvre a eu droit. D’aucuns déploraient également à l’origine un manque de soin dans la conception des mélodies. Je ne fais pas partie de ceux-là.

Une œuvre monumentale et résolument moderne

Don Carlos est connu notamment pour sa longueur interminable. Bien que personnellement, je n’ai pas vu le temps passer. L’œuvre de Verdi est audacieuse pour l’époque, n’hésitant pas à remettre la religion à sa place, par exemple.

Mais bien davantage, c’est la notion d’amour (mais aussi de désir, de trahison, et d’amitié) qui est mise en avant. Abordant aussi la question de la filiation via le conflit entre Don Carlos et son père le Roi Philippe II pour l’amour d’Elisabeth de Valois, l’œuvre n’hésite pas à s’attaquer à la question de l’adultère. La politique aussi est abordée, et surtout questionnée, à travers l’occupation espagnole des territoires flamands, à laquelle s’oppose Don Carlos. Verdi, en avance sur son temps, touche donc à plusieurs questions sensibles.

La musique de Verdi, puissante et évocatrice, me semble tout à fait moderne, avec des motifs rythmiques et mélodiques bien ancrés. Cela est bien perceptible dans l’air le plus connu de l’opéra, lors de la scène de l’autodafé.

La densité dramaturgique, elle aussi, est remarquable, avec cinq personnages principaux d’égale importance. Une œuvre atypique et complexe, donc. Dommage que la mise en scène de cette adaptation soit à la traîne. La mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera manquait en effet de dynamisme, de « jeux » et de mouvements. Les chœurs, par exemple, étaient à maintes reprises très serrés. Une mise en scène plus énergique aurait sans doute permis de capter et surtout, de garder l’attention d’un public soumis à quatre heures trente de spectacle et à une trame narrative pas toujours évidente à suivre.

La représentation qu’en donne l’ORW peut tout de même être qualifiée de grandiose. Les décors, comme d’ordinaire à Liège, sont incroyables. En particulier le couvent de Saint-Just, composé de trois parties très détaillées. Sans rien vous spoiler, des petits invités à quatre pattes font aussi partie du spectacle… Les tons sombres collent parfaitement aux thèmes abordés dans l’œuvre. Les costumes, fabuleux comme toujours, ont cependant le défaut d’être fort semblables entre eux, sans réel « code » (qu’il soit formel ou de couleur) pour aider le spectateur à s’y retrouver.

Un casting prestigieux

L’équipe artistique a choisi de donner l’œuvre en français, comme le compositeur l’avait pensé au départ. Comme dit dans le programme, « C’est un retour aux sources que nous allons tenter d’opérer afin de se rapprocher au mieux de l’intention artistique originelle ».

Contrairement à la musique (je trouve toujours l’orchestre de l’Opéra de Liège extrêmement qualitatif), il m’arrive d’être plus pointilleuse sur la partie chant (peut-être parce que j’y suis en règle générale moins sensible). Pour Don Carlos , l’ORW sort le grand jeu, avec une équipe à couper le souffle : notamment Grégory Kunde, ténor accompli, dans le rôle de Don Carlos. Bien que, et je le regrette, son interprétation manquait un peu de relief. Pour incarner Philippe II, c’est Ildebrando d’Arcangelo, titulaire du titre prestigieux de « Kammersanger » du Wiener Staatsoper, qui a été choisi. Plus que talentueux, j’ai trouvé son interprétation puissante et maîtrisée. Nous apprenons juste avant la représentation que la soprano Yolanda Auyanet, interprète d’Elisabeth de Valois, est tombée malade. Si on ne m’avait rien dit, je n’aurais rien remarqué, tant les imprécisions furent rares et minimes. L’accent des chanteurs n’est pas trop prononcé, et même, pour certains, à peine perceptible.

Mêlant émotion, énergie et caractère dramatique, Don Carlos est un véritable monument, que je reverrai avec plaisir.

Même rédacteur·ice :

Don Carlos

D’après l’œuvre originale de Giuseppe Verdi
Direction musicale de Paolo Arrivabeni
Mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera
Avec Gregory Kunde , Ildebrando d’Arcangelo , Yolanda Auyanet , Kate Aldrich , Lionel Lhote , Robert Scandiuzzi
Décors de Gary McCann
Costumes de Fernand Ruiz
Lumière de Franco Marri
Chef de cœur : Pierre Iodice

Vu à l’Opéra Royal Wallonie-Liège le 30 janvier 2020