critique &
création culturelle
Pour une analyse subjective
des films Disney, épisode 1 : Kuzco, l’empereur mégalo

L’idée est simple : regarder des films Disney et se laisser submerger par l’univers mais… en gardant l’esprit vif, en relevant ce qui « cloche », ce qui pousse à la réflexion et à la critique. Entre clichés et exagérations, Disney n’est pas tout beau tout rose.

Tout d’abord, sachez, chers lecteurs, que cet article est purement subjectif comme le seront les suivants. J’y relate ce qui m’a interpellée – positivement ou non lorsque j’ai visionné un film Disney et j’y apporte un éclairage, un argumentaire. Libre à vous d’y adhérer ou de le réfuter. Après ce préambule, j’entame ma première analyse, celle de Kuzco l’empereur mégalo , sorti en 2000 et considéré comme le 40 e classique d’animation des studios Disney.

Un empereur, une vieille conseillère, un serviteur costaud et un paysan modeste

Kuzco est un jeune empereur égoïste qui, pour célébrer ses 18 ans, décide de construire une résidence de vacances : « Kuzcotopia ». Pour ce faire, il convoque Pacha, un jeune paysan résidant avec sa famille en haut d’une colline, lieu idyllique et convoité par Kuzco, pour construire sa demeure de rêve. Les deux hommes ne parviennent pas à trouver un consensus et l’empereur, ne voulant rien entendre, compte bâtir sa villa coûte que coûte. Mais ses projets vont vite partir en poussière.

Yzma, conseillère récemment congédiée par l’empereur capricieux, ne veut pas en rester là. Avide de pouvoir, elle décide de se venger et de tuer Kuzco. Elle invite donc son supérieur à un dîner, afin de l'empoisonner et de prendre sa place à la tête de l’empire. Mais tout ne se passe pas comme prévu : Kuzco se retrouve transformé en lama. Yzma ordonne à Kronk, son serviteur benêt, de le sortir de la ville et de le tuer. Ce dernier hésite à tuer l’empereur, qui se retrouve par accident sur la charrette de Pacha qui retourne à son village. Commence alors le long périple du paysan et du lama pour regagner le château et trouver un compromis quant à la construction de Kuzcotopia.

Des personnages « très » stéréotypés

D’emblée, ce qui a attiré mon regard, ce sont les traits de caractère des personnages qui leur collent à la peau, indéniablement. Ils ont beau essayer de changer, de se défaire de ces caractéristiques inhibées, ils n’y parviennent pas. Chassez le naturel, il revient au galop.

Du côté des méchants, il y a Yzma , une vieille femme aigrie à la silhouette fripée et au charme très peu flatteur et Kronk , le serviteur au physique imposant et sculpté mais avec rien dans la tête, abêti. Yzma est le cerveau et Kronk les biceps, le duo machiavélique parfait. Voilà une manière bien « simpliste » mais efficace de mettre en scène des caricatures de méchants.

Toutes leurs caractéristiques les déshonorent, elles sont négatives voire péjoratives. Dans cette même logique, tout ce que le duo entreprend (tuer Kuzco, le poursuivre et mettre fin à ses jours) échoue. Classique, les méchants sortent toujours perdants à la fin. Petite exception toutefois pour Kronk, qui finit par se rebeller et change d’attitude. Il deviendra même le héros principal de Kuzco 2 .

Du côté des gentils, il y Pacha , un paysan calme, modeste et altruiste. Son physique de « gros nounours » le rend inévitablement aimable. Impossible de ne pas avoir de l’affection et de l’empathie pour ce personnage. Il a le cœur sur la main : alors que Kuzco s’apprête à le chasser de chez lui, Pacha décide toutefois d’aider l’empereur à rentrer chez lui et à retrouver sa forme humaine, dans l’espoir qu’il revienne sur sa décision. Il respire l’optimisme et voit toujours le positif dans les moments les plus négatifs. Toutes ces caractéristiques ne sont que des qualités qui participent à le rendre « gentil » dans le film. Une fois de plus, d’une manière très simple, avec des caractéristiques mélioratives, il est assigné à son rôle de personnage adjuvant.

Kuzco , quant à lui, personnage principal et horripilant, est davantage ambivalent, à la fois gentil et méchant. Au début du film, il est présenté comme empereur tyrannique, pourri gâté, qui a tout ce qu’il veut à ses pieds, sans penser à la pauvreté de son empire et aux besoins de son peuple. Il est tout simplement mégalomane, mué par un désir immodéré de puissance et un amour exclusif de soi. Tous ces défauts ne font que renforcer son côté méchant.

Une fois transformé en lama, Kuzco change et évolue, il reste persifleur à plusieurs reprises mais finit par se rendre compte de l’importance de son sort et de celui des autres. Il se noue d’amitié avec Pacha, initialement par dépit, et décidera de ne pas construire Kuzcotopia en haut de la colline. Kuzco est devenu « gentil ».

Tous ces personnages sont facilement identifiables dans leurs intentions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Même si leur portrait semble grossièrement réalisé c’est pourtant de la sorte qu’ils sont les plus reconnaissables. Après tout, les Disney s’adressent aux enfants et visent à leur inculquer des valeurs comme celle de faire une distinction entre  « bien » et « mal ».

Cependant, force est de constater que malgré les caractéristiques stéréotypées des personnages qui nous incitent à les ranger du bon ou du mauvais côté, on ne peut parler de véritable dichotomie entre le bien et le mal. En effet, l’ambivalence de Kuzco et Kronk prouve le contraire : il y a du bon dans ces personnages, qui, à la fin de l’histoire, finissent par faire les bons choix, se rangeant du côté des « gentils ».

Là repose la richesse du film, qui, même s’il semble simpliste de prime abord, reflète la complexité du réel et du comportement humain. De manière plus générale, les films d’animation continuent à faire rêver petits et grands tout en inculquant des valeurs « simples » qui varient et se complexifient avec le scénario et les personnages. Elles sont revisitées à la sauce Disney.

Détrompez-moi si j’ai faux… mais n’avez-vous pas déjà revisionné certains Disney incontournables de votre enfance ? N’avez-vous pas été surpris de revoir ces films ? Les contenus vous ont-ils semblés plus simples ? Plus complexes ? Choquants ? Quoiqu’il en soit, vous n’avez pas regardé ces films de la même manière que lorsque vous étiez bambin...

Un jeu autour de la personnification

Dans Kuzco , j’ai également constaté que la frontière entre les animaux et les êtres humains était poreuse. Le film se joue de leurs ressemblances et se construit autour de personnifications parfois inversées.

Je m’explique : Kuzco se transforme en lama. Il a tout de cet animal mais continue à parler le langage humain. Son esprit est resté le même, il ne pense pas comme un lama, pourtant les deux êtres partagent des points communs : têtu, râleur et prétentieux. C’est du moins la représentation que nous nous faisons du lama dans le monde du divertissement. On se rappelle ce pauvre Capitaine Haddock qui se fait cracher dessus par un lama dans Tintin et le temple du Soleil

La ressemblance va jusque dans le dessin d’animation : Kuzco possède de longs cheveux noirs, une fois animal, il conserve cette crinière qui le différencie des autres lamas et le rend unique. Qu’on se le dise, cette coupe au bol prête aussi à sourire, c’est peu commun chez les animaux. Kuzco s’habitue à ce nouveau corps, il marche à quatre pattes, mange de l’herbe, etc. Il finira même par avouer s’être habitué aux poils.

Kronk, lorsqu’il part à la recherche de Kuzco avec Yzma, demande son chemin à un écureuil et lui adresse la parole en langage animal. La confusion s’y prête, se comprennent-ils vraiment ? Force est de constater que oui. Les deux se noueront d’ailleurs d’amitié et deviendront chefs scouts, partageant ensemble leur amour pour la nature et la solidarité bienveillante. À la fin du film, Yzma boit une potion magique et se transforme en chat. D’emblée, elle sort ses griffes et attaque Kuzco.

Les personnages prennent les caractéristiques de leur animal totem, mais conservent certains traits qui les distinguent de l’animal. La personnification, ici, est détournée : elle n’attribue pas toujours des caractéristiques humaines aux animaux, ce sont les individus eux-mêmes qui prennent les traits animaux (ou se transforment complètement en gardant leur conscience propre).

La symbolique du lama

En allant plus loin, le choix de ces animaux n’est pas anodin, surtout en ce qui concerne le lama. Tout d’abord, cet animal est originaire du Pérou et fait écho au cachet du film qui se veut amérindien voire inca. En effet, le nom Kuzco fait écho à la ville éponyme péruvienne, qui, anciennement, était la capitale de l’empire inca.  Kuzco lui-même ressemble à un empereur inca : boucles d’oreille, longs cheveux, couronne dorée en forme de soleil, etc. Il a de la prestance, il est vénéré et tout le monde est à ses pieds. De quoi forcer la comparaison avec le monde inca.

Dans le film, les paysages sont aussi typiques de l’Amérique du Sud, entre jungle tropicale, montagne, campagne et urbanisme. Pacha est vêtu d’un poncho et son nom prête à la confusion avec le vêtement.  Enfin, chez les incas, le lama était aussi un symbole du pouvoir souverain. Pas étonnant que l’empereur Kuzco ait été transformé en cet animal.

Plus encore, après quelques recherches, la symbolique du lama recouvre tout son sens. L’animal en soi à des significations diverses. L’une d’entre elles concerne notamment la relation symbolique avec les gains, les profits, les améliorations des conditions de vie matérielle. Portrait craché de Kuzco, cet animal lui colle encore plus à la peau.

Mais, toujours selon cette symbolique qui concerne aussi l’interprétation des rêves, ce n’est qu’en voyant le lama que l’on peut avoir de telles richesses. Kuzco, transformé, ne se voyait pas en lama : ce n’est donc pas à lui qu’était destiné le bien-être matériel mais à ceux qui l’aperçoivent et l’entourent, c’est-à-dire Pacha et les habitants de son royaume, son peuple. Ce ne sont pas ses propres biens que l’empereur doit servir mais ceux de ses sujets. Et c’est d’ailleurs ce qu’il fera à la fin. Kuzco a compris. Il a décidé de faire le bien autour de lui et d’arrêter d’être égoïste. Morale de l’histoire.

De manière plus générale, le film en soi est bien construit, il multiplie les aventures dangereuses et rocambolesques. Les péripéties sont nombreuses mais elles remplissent bien leur rôle, elles divertissent, prêtent à rire et nous en apprennent plus sur les personnages.

Petite mention spéciale pour le choix de la narration : il y a une sorte de méta-récit , Kuzco suit lui-même son histoire et la commente, comme s’il était en train de regarder le film avec le spectateur. Il partage son point de vue omniscient mais sans jamais trop en dévoiler. Il met d’ailleurs plusieurs fois en pause le récit de son histoire pour amener des précisions ou juste se plaindre et recevoir de la compassion. Vous le voyez, même devenu un gentil, l’égo de Kuzco reste le même. Celui d’un empereur inca.

Même rédacteur·ice :

Kuzco, l’empereur mégalo

Réalisé par Mark Dindal
Avec David Spade , John Goodman , Patrick Warburton
États-Unis, 2001
78 minutes