Promising Young Woman
Un J’accuse jouissif
Avec Promising Young Woman , Emerald Fennell signe un film hollywoodien loin des clichés, qui accuse et dénonce avec force et sans concession la culture du viol qui règne encore et toujours dans nos sociétés.
Je suis souvent peu attirée par les films « grands publics », non par snobisme mais parce qu’ils me semblent, la plupart du temps, moins s’attarder sur la finesse et le sens. On peut certainement réaliser un très beau film et faire des entrées mais j’ai cette impression que, le besoin de faire du chiffre prime généralement sur la profondeur d’une œuvre. Alors on a un goût de trop peu, de bâclé masqué par des effets spéciaux spectaculaires ou un casting de choix. Avec Promising young Woman pourtant, Emerald Fennell me contredit : elle a réalisé un film aux codes très hollywoodiens mais loin d’être superficiel.
Cassie avait a priori un avenir radieux devant elle. Brillante étudiante en médecine, elle a cependant quitté brusquement ses études. Sept ans plus tard, elle est serveuse le jour tandis que la nuit, elle joue la femme ivre dans les bars où elle se fait aborder par des hommes d’apprence inoffensifs. Chaque soir, un « preux chevalier » propose de la ramener chez elle, avant de tenter d’en abuser. C’est alors qu’elle lui fait réaliser qu’elle est en réalité sobre et le confronte. Ce manège bien rôdé semble chamboulé lorsqu’elle recroise Ryan, une ancienne connaissance de la fac de médecine. Ils entament une relation grâce à laquelle Cassie paraît guérir peu à peu. Cette rencontre nous permet de comprendre que notre justicière traverse un deuil depuis sept ans et porte en elle une terrible culpabilité : celle de ne pas avoir su préserver sa meilleure amie, Nina, d’un viol. Sans le vouloir, son nouveau petit-ami lui donne un moyen de se racheter.
Promising Young Woman a d’abord tout l’air d’une comédie et pourtant, il traite de viol ou plus précisément de la culture du viol. Il aborde avec beaucoup de finesse l’aspect systémique du sexisme et ses conséquences : du slut-shaming « inoffensif » à l’irréparable. Le film dresse un portrait glaçant de notre société et pose sévèrement la question de la responsabilité. À qui la faute ? Qui, du simple spectateur « passif », des colporteurs, des défenseurs, des témoins qui se taisent, de l’auteur, est le plus coupable ? Tous à la même échelle, nous répond, à juste titre, l'œuvre d’Emerald Fennell ( Killing Eve ). On finit par rire jaune, lorsqu’on comprend que ce thriller dramatique plein d’humour est avant tout un procès où nous sommes tous accusés, car tous complices.
Nina, la meilleure amie de Cassie a été filmée en pleine scène de sexe, complètement ivre avec le jeune homme le plus populaire de la faculté. Lorsqu’elle porte plainte pour viol, personne ne la soutient, ni ses amis, ni les autorités académiques, ni même la justice. Au contraire, sa réputation joue contre elle : connue pour ses frasques, on remet en doute sa version des faits. Tristement réaliste. À travers ce sujet extrêmement difficile, Emerald Fennell propose une leçon plus que nécessaire sur le consentement.
Grâce à l’histoire gourmande d’une vengeance, on comprend les mécanismes de la culture du viol encore trop présente dans notre société aveugle et lâche. On déconstruit tout l’argumentaire qui vient soutenir notre silence, notre inaction en plus de protéger - de légitimer même - les prédateurs. Il faut souligner que le choix du milieu où l’horreur se produit dans ce film est aussi brillant que tout le scénario : une faculté de médecine, pleine de gens aisés et a priori bien élevés. Le viol ne se produit pas dans une ruelle sombre par un inconnu crasseux. Par ce choix, Emerald Fennell déjoue l’imaginaire classiste, étriqué et biaisé selon lequel les violeurs auraient un profil-type et les victimes aussi.
C’est plaisant de voir qu’un blockbuster américain puisse prendre ses responsabilités sans transiger. Malgré qu’on ait pris le parti d’exposer tous les points de vue, le propos est clair et le positionnement ferme. C’est plus qu’une gifle, un réquisitoire. On ne peut pas qualifier ce film de féministe car relayer un sujet aussi important que le viol à ce que d’aucun considère encore comme du militantisme d’effarouchées marginales, ce serait aller à l’encontre de ce que la réalisatrice a voulu faire de son oeuvre. Par le biais d’un film commercial et mainstream, elle remet le concept de culture du viol au milieu de la table et nous martèle que nous sommes tous concernés. En évitant les étiquettes, qui selon moi n’ont d’ailleurs aucun sens, on empêche qui que ce soit de se dédouaner. La culture du viol n’est pas un sujet de « féministes », c’est un sujet sociétal. Ce n’est pas exclusivement le fait d’hommes machistes : ici on ne condamne pas la gente masculine mais tout ce qui dans notre éducation, dans nos interactions, qui permet que ce genre de drame arrive et demeure, la plupart du temps, impuni.
Si ce film a été encensé par la critique, c’est aussi grâce au talent de Carey Mulligan ( Les suffragettes ) qui n’est plus à démontrer (elle a d’ailleurs été nominée pour l’Oscar 2021 de la meilleure actrice dans ce rôle). Aux côtés d’un Bo Burnham si juste en petit-ami tendre mais lâche et d’une Alison Brie glaçante d’inconscience et de manque d’empathie, une brochette d’acteurs nous portraitrisent sans concessions et portent avec beaucoup de talent un scénario fin, troublant et bien ficelé, doublement primé en 2021 par un Oscar et un Bafta. Promising Young Woman correspond à l’esthétique des films hollywoodiens contemporains : très léché mais sans construction particulière dans la manière de filmer, de quoi davantage mettre l’emphase sur le contenu. On notera cependant que la violence n’est que suggérée et jamais montrée à l’écran, le propos l’étant sans doute suffisamment pour éviter tout voyeurisme malsain.
Promising Young Woman nous rappelle que l’art a plus qu’une vocation de divertissement : une œuvre peut dénoncer et ne doit pas sans cesse se cantonner à la tangente du questionnement ou du témoignage. Elle peut prendre position sans trembler, détraquer, émanciper, éduquer. Par le truchement de nos émotions, on ne peut qu’espérer qu’elle parvienne à ses fins.