critique &
création culturelle
C’est l’histoire d’une belle cicatrice…

Que se passe-t-il quand deux poésies se rencontrent, au confluent des mots et des dessins ? C’est que tente de découvrir cette semaine Karoo avec L’Ours Kintsugi paru aux éditions Cambourakis.

Un objet hors du temps, voilà la première impression, le premier sentiment qui naît une fois l’album en mains. Son poids jure avec avec la promesse de sa couverture tout en aplat et en tendres surfaces. L’Ours Kintsugi annonce tout de suite la couleur : il sera charmant, un peu diaphane et câlin comme une peluche. Fruit d’une collaboration entre l’illustratrice Marine Schneider (dont ce n’est pas la première histoire d’ours, voir Hiro, hiver et marshmallows ) et l’autrice Victoire de Changy ( également rédactrice chez Karoo ), il tient plus du conte illustré que de la bande-dessinée.

L’histoire frôle le mythe : Kintsugi est un ours un peu vantard. Il s’amuse au sommet d’une montagne, au bord du gouffre et finit, immanquablement, par dégringoler. Blessé, impuissant, il agonise jusqu’à ce que Kaori, petite fille d’un village voisin, vienne recoudre ses plaies. Comme tout les contes, L’Ours Kintsugi défend une morale : l’ours, « rapiécé », la fourrure trouée, désespère… jusqu’à ce que l’enfant lui fasse comprendre que ses sutures dorées le rendent parfaitement unique et superbe. Les cicatrices ne devraient jamais être source de honte, mais au contraire la forme d’une beauté nouvelle. On peut évidemment élargir le message et lire, entre les lignes, une leçon de tolérance et d’acceptation de l’altérité.

L’ours Kintsugi essaye de se coiffer les poils avec un peigne pour cacher les coutures dorées. Mais le fil est si dorée et si brillant qu’il se voit bien et de loin.

Kaori, elle, n’a jamais rien vu d’aussi beau.

Mais bien plus, l’album de Schneider et de Changy est une œuvre d’artisanat. Son dessin navigue entre les influences asiatiques (en particulier japonaises et chinoises) et une douceur plus enfantine mais néanmoins froide. Si certaines planches ont le charme d’un bel herbier, ce sont les tons gris et bleus qui prédominent ; la lectrice aura toujours l’impression d’avoir la tête dans les nuages. Les mots de Victoire de Changy collent parfaitement ; ils se chanteront par-dessus le dessin, poésie sur poésie, sans jamais simplement redire ce que l’autre montre. L’apparition des « serpents rouges rouges » apporte à l’histoire un sérieux et une dimension charnelle bienvenue, un peu en décalage par son sérieux, son caractère viscéral.

L’Ours Kintsugi vise avant tout un public jeune. C’est le genre d’album qu’on peut lire aux plus petits ou dont les larges pages peuvent servir d’exercice de plongée en solo. Les adultes les plus sensibles, les plus contemplatifs peuvent aussi y trouver leur compte – même si une certaine frustration risque de poindre : on aimerait une autre histoire, plus adulte justement, avec le même trait brumeux et, pourquoi pas, la même voix narrative. L’Ours n’est en tout cas pas à mettre devant tous les yeux : les plus pressés, les plus cyniques ou les plus sérieux y feront la moue. C’est d’ailleurs ce qui le rend si extérieur aux normes de notre monde excité : il prend le risque de n’avoir d’autre valeur que celle du mariage de ses esthétiques, d’être d’une délicieuse inactualité.

Même rédacteur·ice :

L’Ours Kintsugi

Victoire de Changy & Marine Schneider

Cambourakis, 2019

32 pages

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