critique &
création culturelle
Chaplin et son double Charlot
expérimentation théâtrale confinée

Le premier juillet prochain, cinémas et théâtres pourront rouvrir leurs portes, sous réserve de certaines mesures de distanciation et de sécurité sanitaire. En attendant, il est possible de regarder en ligne des représentations théâtrales . Retour sur l’une d’entre elles : Chaplin et son double Charlot , visionnée depuis le canapé en plein confinement.

Chaplin et son double Charlot est une pièce de théâtre de Thierry Janssen, Jasmina Douieb et Othmane Moumen, jouée et filmée au Théâtre Royal du Parc à Bruxelles, en 2016. Elle a été mise en ligne sur Auvio pendant la période de confinement, pour permettre au public de la voir à nouveau ou tout simplement, pour ma part, de la découvrir. Voilà sans doute l’un des plus grands atouts mais aussi l’un des paradoxes d’une pièce de théâtre filmée : la possibilité de la visionner à l’infini, encore et encore. Alors que le moment même d’une représentation théâtrale originale est unique et éphémère.

Chaplin et son double Charlot s’ouvre sur une scène muette, alimentée par les mimes des personnages au gré d’une musique rétro. L’éclairage est noir et blanc. Les personnages s’affairent en silence et se perdent dans une gestuelle qui les enivre. Le ton est donné : tout rappelle le cinéma muet de Chaplin ; on a même l’impression de regarder un film plutôt qu’une pièce de théâtre, ressenti renforcé puisqu’on regarde cette représentation via un écran...

Ensuite, le film prend fin et on en découvre les coulisses : les personnages commentent leur jeu, changent d’accessoires et se préparent pour la prochaine scène à tourner. Chaplin n’est pas satisfait de sa prestation, de ses mimiques, quelque chose le préoccupe. Le vidéaste l’interpelle, lui met la pression : le film doit être fini pour les fêtes de fin d’années, le public l’attend avec impatience, et moi aussi. L’envers du décor est montré au spectateur, pas celui auquel il assiste (théâtre) mais bien celui auquel il a été contraint d’assister (cinéma).

Force est de constater que la pièce fait dialoguer deux arts, le théâtre et le cinéma, joue de leurs similitudes et les imbrique, ce qui prête à les confondre. C’est dire que ces deux arts partagent les mêmes exigences : un bon jeu d’acteur, une intrigue divisée en scènes/actes, un décor, un souci de représentation, etc. Le comédien sur scène crie « Action ! » et devient alors protagoniste d’un film. Les personnages ne cessent de jouer de ces deux arts, d’osciller entre le cinéma et le théâtre.

Tout au long de la pièce, s’enchaînent des gags et des situations comiques à la Chaplin, qui divertissent et suscitent le rire : Charlot se fait passer pour un lampadaire, Charlot tente d’écrire à la machine à écrire mais ses bras ne lui obéissent plus, Charlot ausculte un réveil, Charlot plonge la tête dans une tarte à la crème, etc.

L’une des scènes de Chaplin et son double Charlot est profondément révélatrice de ce que nous vivons aujourd’hui : la mère de Chaplin lui rend visite et lui demande, à plusieurs reprises, de l’argent de poche. Elle dénonce le statut d’artiste et les conditions que celui-ci implique. La mère ne multiplie pas les prestations et ne déclame que quelques fois dans des récitals. Cette situation précaire fait écho à celle des artistes qui, avec la crise du Covid-19, sont devenus sans emploi, certains ne bénéficiant même pas des allocations de chômage car trop peu reconnus.

Expérimentation théâtrale virtuelle : le pour et le contre

De manière générale, la pièce se regarde comme elle s’apprécie dans une salle de théâtre. À l’inverse, beaucoup d’aléas liés au pragmatisme ambiant de la représentation théâtrale ne sont pas présents : je peux mettre en pause la pièce si je veux prendre note, aller aux toilettes ou encore chercher des informations sur le cinéma de Chaplin. Bref, je suis maître de la pièce, j’ai la possibilité de la ponctuer d’entractes sporadiques selon mon gré. Je peux également revenir en arrière si je n’ai pas compris un calembour, une réplique ou une subtilité scénique.

En revanche, j’étais beaucoup moins concentrée que lors d’une représentation théâtrale, je n’étais pas envoûtée par l’atmosphère et l’ambiance propres au théâtre qui se dégagent sur scène. Après tout, j’étais derrière mon écran, dans mon fauteuil, avec en bruits de fond le marasme des conducteurs de voitures qui passent dans ma rue. Et puis, je n’étais pas complètement happée par la pièce, sans doute faute à un onglet Facebook que j’avais laissé ouvert, et les messages qui arrivaient en nombre sur Messenger…

Je n’étais pas non plus au contact des acteurs, je n’admirais pas leur jeu, je ne pouvais pas ressentir pleinement ce qu’ils jouaient, il n’y avait pas cette relation de connivence, consciente ou non, qui s’établit entre les spectateurs et les acteurs. Le théâtre en ligne perd de son humanité.

Cependant, on retrouve le confort que l’on peut avoir lorsque l’on regarde un film, bien installé avec de quoi grignoter. À l’abri d’une voisine de droite trop bruyante ou d’un voisin de devant trop grand. La force de la pièce tient en l’étroite relation qu’elle tisse entre le théâtre et le cinéma et installe dans une situation d’écoute et d’attention confortable : on observe quelque chose de réel, qui a été tourné « en vrai », mais depuis son canapé.

Enfin, comme Chaplin et son double Charlot a été filmé, les techniques cinématographiques sont mises à l’honneur : les artistes sont pris sous différents plans – zoom, plan d’ensemble, gros plan, etc. – qui permettent d’apprécier différemment la pièce de théâtre. Par exemple, il était possible de voir les détails physiques des protagonistes, de voir leurs défauts, leurs mimiques, leurs gestes, choses que l’on ne peut pas apercevoir lorsqu’on se trouve au premier balcon !

Alors plutôt pour ou contre une expérimentation théâtrale confinée ? On dira mitigée : il y a du pour et du contre. Certains sont peut-être ravis de se languir dans leur fauteuil en regardant des pièces virtuelles, d’autres sont sans doute impatients de retourner au théâtre, les mesures sanitaires une fois levées. Quant à moi, je me réjouis tout de même de retrouver les salles de théâtre avec toutes leurs qualités !

Même rédacteur·ice :

Chaplin et son double Charlot

de Thierry Janssen, Jasmina Douieb et Othmane Moumen

Mise en scène de Jasmina Douieb
Avec Othmane Moumen, Philippe Tasquin, Michel Carcan, Bruce Ellison
Chorégraphie de Antoine Guillaume

Enregistré au Théâtre Royal du Parc

À voir sur Auvio