Le théâtre face au confinement :
Lieux de rassemblement par excellence, les théâtres pansent leurs plaies en ces temps de confinement et de fermeture généralisée. Tour d'horizon des spectacles visibles par-delà le quatrième mur numérique.
Au court-termisme du pouvoir politique fustigé par de nombreuses personnes s'oppose la vision à long terme du portail Auvio de la RTBF. La plateforme a ainsi mis en libre accès plus d'une vingtaine de pièces de théâtre , dans le cadre du projet Jour de Relâche , qui vise à filmer et à promouvoir depuis plusieurs saisons déjà les spectacles belges en Fédération Wallonie-Bruxelles. Selon la responsable des arts de la scène pour le pôle culture, Carine Bratzlavsky, l'idée est de rendre hommage aux « auteurs, comédiens, metteurs en scène, dramaturges, et autres techniciens qui œuvrent dans l'ombre des coulisses », de « tendre l’oreille aux battements de cœur sur nos planches », et de donner de la durée à l'éphémère des représentations.
Si certains théâtres se rallient à cette initiative de captation-diffusion, d'autres y décèlent en revanche un péril et un risque d'aggravation de la situation pour les artistes, déjà critique. Le Rideau de Bruxelles met ainsi en garde contre la perte de droits d'auteurs pour des artistes déjà par trop dépossédés en ces temps de crise, et encourage à acheter et à lire les textes publiés aux éditions Lansman sous le label Rideau de Bruxelles .
Parmi l'éventail des spectacles accessibles en ligne, on recommandera particulièrement J'abandonne une partie de moi que j'adapte , Discours à la Nation , Is There Life on Mars? et L'Herbe de l'oubli .
J'abandonne une partie de moi que j'adapte met en scène un projet de film documentaire réalisé en France en 1960, qui interroge les citoyens sur leur rapport au bonheur, à la vie et au travail, et ausculte la frontière poreuse entre s'adapter au monde et renoncer à soi.
Discours à la Nation : superbe satire du capitalisme sous la forme d'un monologue aussi piquant qu'absurde et jouissif.
Is There Life on Mars? : exploration du monde de l'autisme dans une mise en scène époustouflante, alternant réalisme crû et onirisme envoûtant.
L'Herbe de l'oubli : théâtre documentaire et poétique sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl où se succèdent témoignages de survivants, vidéos et marionnettes de taille humaine représentant les fantômes des personnes décédées.
Besoin de s'exprimer vs besoin d'exister
Concernant la situation sur le terrain, les circonstances ont poussé les théâtres à annuler tous les spectacles, activités et événements prévus jusqu'en juin ou en septembre. Or un problème spécifique au domaine des arts de la scène se pose avec acuité : la durée qui sépare la préparation d'un spectacle et sa représentation officielle, empêchant tout retour à la normale avant longtemps. Comme le martèle Clément Thirion dans une carte blanche sur le site du Soir , la vie des artistes de scène « n’est pas un film qu’on met en pause ». Il pointe également l'incompréhension qui règne dans le chef du gouvernement fédéral quant à la réalité du secteur culturel. Accusé de tenir un discours minimisant les conséquences de la crise sur les artistes car se bornant à déplorer l'impossibilité de satisfaire leur « besoin de s'exprimer publiquement ». Niant par la même occasion l'enjeu de survie financière qui enserre des milliers d'êtres humains. Dans une lettre ouverte , le philosophe Laurent de Sutter révèle d’ailleurs le paradoxe entre l’apport de la culture à l’économie et le manque d’apport de l’économie (étatique) à la culture :
Aujourd’hui, cette industrie [culturelle], en Belgique, pèse plus de 5% du PIB, emploie près de 250 000 personnes, pour 50 milliards de chiffre d’affaire. C’est plus que toute l’industrie de la construction, que toute l’industrie automobile, que la totalité du secteur des institutions sans but lucratif – et c’est presque autant que les banques.
Le directeur du Rideau de Bruxelles, Michaël Delaunoy, opère pour sa part une distinction entre le rôle positif de la ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le niveau fédéral, jugé indifférent au sort de la culture et à toute concertation avec les représentants et les fédérations du secteur. Il considère par ailleurs les 8,4 millions d'euros débloqués pour le secteur culturel insuffisants car ils ne couvrent que la période courant jusqu'au 19 avril, sans perspectives pour le futur.
Pour terminer sur une note de lumière, ce message poignant du Théâtre National :
Les portes du Théâtre sont actuellement fermées, mais nos équipes sont au service des artistes pour que tous nous puissions travailler à demain. Car ce que l'on sait de demain, c'est qu'il y aura de la vie. Et là où il y a de la vie, il y a des spectacles.