Mis en scène et écrit par Jean-Michel d’Hoop, L’Herbe de l’oubli nous emmène à la rencontre de différents habitants biélorusses qui ont souffert de la contamination de leurs corps et de leurs terres après la catastrophe de Tchernobyl en 1986.
Dès les premières minutes, nous sommes emportés avec émotion en Biélorussie. Les images d’une vidéo projetée sur un drap nous racontent, sans mot, les paysages des zones désertées après la catastrophe. C’est cet après, celui d’un monde intimement changé, que le spectacle nous propose. Les habitants, auxquels les différents acteurs donnent voix, viennent partager sur scène leur quotidien. Ils s’approchent à différents moments au-devant de la scène pour s’adresser à un public touché par la simplicité douloureuse de leur parole. Un maraîcher vient nous parler de son potager, fier de sa production bio, de sa terre qu’il juge saine. Une doctoresse évoque, elle, les nombreux problèmes de santé dus aux radiations. Un autre encore apporte sur scène un tableau représentant la maison de sa grand-mère, maintenant ensevelie sous terre par précaution. Là ne sont que trois exemples d’une galerie variée de personnages. Une voix off, dont le texte est inspiré de l’auteure biélorusse Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature, vient aussi par moments apporter un autre regard sur les évènements post-catastrophe.
À ces différents témoignages se mêle la poésie de marionnettes à taille humaine. Actionnées par les acteurs, elles évoluent silencieusement et expriment d’autres sensibilités, un univers qui ne peut se dire en mots. Elles représentent un enfant, une vieille femme, ou encore un couple de vieillard dont le mari est en chaise roulante. De nouveaux individus nous sont ainsi donnés à voir. On les observe dans leur gestes, fluides ou saccadés, dans leurs douleurs exprimées sans un mot, comme ce moment où l’enfant, refusant de se laver, repousse le tissu mouillé que sa mère tente de lui appliquer au visage. Le spectacle n’a pas peur de se taire. Les vidéos projetées n’ont jamais de son, les marionnettes sont silence et mouvement, et les acteurs eux-mêmes laissent par instants une pause couler au travers de leur parole. Tout ça permet l’impact nécessaire, l’installation lancinante d’une atmosphère puissante, parfois anxiogène, mais profondément touchante. Le moment où une femme se voit laissée sur scène par son compagnon parti brusquement est un exemple parfait de ces moments forts. Elle est embarrassée, nous regarde, ne sait pas quoi dire, car elle-même n’est jamais retournée à Pripiat, la ville qu’ils ont dû abandonner.
La musique, présente par touche, complète la mise en scène. Elle épouse certaines vidéos, souligne l’animation des marionnettes et achève le spectacle en l’accompagnant d’un chant plein de mélancolie. Elle participe à cette douce tristesse instillée à notre esprit, cumulée à une tension grandissante. Des monstres aux têtes boursouflées de papier mâché viennent d’ailleurs nous rappeler la catastrophe contre nature qui a eu lieu. Telles d’insidieuses radiations, de grands hommes pantins s’approchent dangereusement des différents habitants qui ignorent la menace derrière eux. Dans la même veine, un chat, caché sous un fauteuil, se révèle par la suite anormalement grand et effraie l’enfant-marionnette par ses affreux miaulements.