critique &
création culturelle

Soleil Constant

Plongée dans les eaux réfléchies

Pho­to : Pierre-Philipe Hof­mann

Présenté aux Brigittines, le nouveau projet de la chorégraphe Louise Baduel, Soleil Constant, immerge et envoûte par son approche pluridisciplinaire et onirique des enjeux environnementaux.

 

Partant de la problématique de la disparition des barrières de corail, le spectacle pose une réflexion plus large sur l’impact des activités humaines sur l’environnement, en particulier de l’activité artistique. Soleil Constant narre son propre processus de création. Un va-et-vient entre danse et discussion créative. Louise Baduel et sa partenaire de jeu/danse, Pascale Gigon, jouent donc elles-mêmes sur scène, au gré de leurs répétitions et de leurs réflexions sur les implications écologiques de leur art. Au travers de l’intrigue, les interprètes discutent ainsi de leur choix d’utiliser des lampes LED, de récupérer des textiles de seconde main, du transport de la scénographie, etc. Des thématiques ô combien essentielles à l’heure actuelle mais qui font encore trop peu partie des préoccupations du milieu artistique.

Commentaire sur les premiers instants

Couleurs et voix-off documentaire

Pour décrire l’instant

Pour créer et immerger la salle dans un univers aquatique

Prendre sa respiration avant la plongée

Dans le fluo des barrières de corail

Si la forme narrative du spectacle peut dérouter, surtout après une première scène plutôt abstraite où les deux danseuses miment les mouvements des coraux sur fond de voix off documentaire, le retour à une intrigue réaliste fait parfaitement sens au vu des intentions du projet. Très tôt, la (docu)fiction se brise pour laisser place à l’envers du décors de la création du spectacle ; un moment de répit pour les danseuses, pour se re-situer et trouver comment faire différemment. Elles se parlent et rebondissent ainsi sur l’écho de leurs difficultés à associer vies professionnelle et familiale en tant que femme. S’opposant à la surproductivité qu’elles ont pu vivre dans leur carrière, elles cherchent dès lors à danser avec une empreinte minimale au travers notamment de mouvements simples, où la focalisation et la lumière sont mises sur les sensations. Une approche exemplifiée par une scène en particulier, où les mouvements sont décortiqués, respirés un à un en pleine conscience, pour réapprendre, reprendre contrôle sur la frénésie. Un slow dancing mis en parallèle, avec humour - mais vérité -, des slow traveling, slow eating, et autres moyens de ralentir (voire de vivre et vieillir, dans ce cas-ci en tant que danseuses).

Commentaire sur les seconds instants

Créer.

Comment créer.

Alors que même la respiration marque

Empreinte remarquée

Vainement palliée par une respiration sur quatre

Tout un décors-accessoire-partenaire qui tient dans une valise

Et les vents des ventilos pour engorger de vie les matières souples

Et les voix des danseuses pour chanter, raconter, s’interroger,

Et leurs pas pour se perdre, trouver, revivre et…

Louise Baduel se sert de la problématique du blanchissement des coraux comme prétexte pour façonner un univers visuel et sonore, à la fois onirique et aquatique. Différents textiles viennent s’ajouter, parfois sous forme de costumes holographiques ou de capes ondoyantes, parfois imitant la forme d’un concombre de mer. Le tout accompagné par des lumières vives (conçues par Meri Ekola), accentuant cette esthétique marine, luminescente et rendant les textiles presque fluos. Les plus marquants sont sans aucun doute les grandes bâches bleues (océan) que les deux danseuses utilisent comme véritables partenaires de danse. Jouant avec la fluidité et les ondulations de ces toiles, elles créent des tableaux dansés captivants, non sans rappeler les mouvements des vagues (qui finissent même par les engloutir).

Commentaire sur les troisièmes instants

Le bruissement des vagues textiles sur scène – plage noire

Tendre la main pour, dans les allers et retours, faire danser la mer

Une eau sombre dans la pénombre, insidieusement apaisante

Se laisser porter par le bercement, se laisser submerger

Boire la tasse, pour se revigorer

Grande coulisse de sa propre création, Soleil Constant est un joli mélange de danse et d’arts plastiques, qui usent ingénieusement de quelques matériaux pour en dire beaucoup. Le plus bel exemple est la symbolique de l’utilisation de bâches en plastique pour évoquer les mers et les espèces aquatiques, alors que l’industrie textile et plastique est parmi les plus grands pollueurs des océans. Au final, si la création est par définition une action polluante (comme toute activité humaine, comme la respiration humaine), Soleil Constant a le mérite d’en être conscient et de tenter de changer de courant.

Commentaire sur les instants suivants

En hautfonds et en basfonds, simplement un dialogue

Entre la scène et les gradins

Bulles d’air dans l’océan

Intrigué·es avant, baigné·es et noyé·es pendant, et après en parler, après échanger

Au-deçà du « aimé » ou du « pas aimé »

un milliard de reflets, rayons passant sous les eaux

Au-deçà nager et faire émerger

Un goût d’iode encore sur les lèvres, un apaisement maritime dans les tympans

Émerger son propre monde, qui jaillit hors des flots,

Son propre monde, révélé dans le dialogue

Entre la scène et les gradins

Son propre monde d’avant, de pendant et d’après, petite île perdue dans chaque instant

Mêmes rédacteur·ice·s :

Soleil Constant | Louise Baduel

Générique : Choré­gra­phie Louise Badu­el | Inter­pré­ta­tion Louise Badu­el, Pas­cale Gigon | Texte écri­t­ure col­lec­tive, avec l’aide pré­cieuse de Sébastien Fayard, Léa Zil­ber et Dona­tien de le Court | Voix off Léa Zil­ber | Créa­trice costumes Leslie Fer­ré | Scéno­gra­phie Dona­tien de le Court | Musique Marc Mélia | Lumière Meri Eko­la

23 au 27 avril 2024 aux Brigittines (vu le 25 avril 2024)

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