La dramaturge Veronika Mabardi et la metteuse en scène Françoise Berlanger racontent, avec Maman de l’autre côté , le drame familial le plus commun, la perte d’un parent, dans un spectacle doux mais qui nous laisse un sentiment mitigé.
Deux sœurs, Anne et Ema, se réunissent dans leur maison familiale alors que leur mère est en train de mourir. L’une s’est exilée aux États-Unis, l’autre est restée auprès de la mère. L’une est née en Belgique, l’autre en Égypte, peu avant le début de la révolution menée par Nasser. Durant cette nuit de retrouvailles, elles se remémorent leur enfance, questionnent leurs choix de vie respectifs et accompagnent leur mère dans ses derniers instants.
Alternant les interactions entre Anne et Ema et le monologue interne de leur mère, la metteuse en scène Françoise Berlanger combine deux écritures différentes pour raconter les retrouvailles d’une sororie déchirée par la distance (de leur enfance et leur âge adulte) et la vie d’une mère marquée par les exils.
Pour accompagner ces deux récits, et l’inscrire dans l’espace, le plateau est divisé en deux parties : le lit de la mère d’un côté, une scène surélevée avec la pièce à vivre de l’autre. Tout est fait de bois, la structure, le mobilier, le lit, le tour de la porte/fenêtre, donnant un aspect très rustique, campagnard à cette maison familiale. Également érigée en fond, une magnifique toile (réalisée par Marcel Berlanger) représente le saule du jardin. Une scénographie simple mais efficace, une manière d’établir qu’à l’image de cette maison brute, presque nue, les sœurs se retrouvent dépourvues face à la mort de leur mère et se montrent beaucoup plus vulnérables.
Le deuxième tableau, dans lequel la mère narre depuis sa chambre son trajet et ses choix de vie au public, prend malheureusement trop le pas sur le premier. Si ce quasi-seul en scène symbolise bien la mort ordinaire, sans grand drame, celle où les mots restent bloqués dans le cerveau de la personne mourante, incapable de communiquer mais qui voit sa vie défiler devant ses yeux, ce déséquilibre donne parfois l’impression que le spectacle nous raconte une histoire passée, déjà résolue au détriment de celle qui perdurera au-delà du spectacle. La vie de la mère est belle et bien finie, mais pas celle de ses filles. Comment les sœurs affronteront-elles la mort de leur mère ? Que leur restera-t-il d’elle ? Le premier tableau, mettant en scène leurs échanges, tantôt humoristiques, bienveillants, ou tendus, laisse entrevoir une relation sororale complexe, qui aurait mérité d’être explorée davantage. On soulignera tout de même les belles prestations de Lula Béry et Monia Douieb en tant qu’Anne et Ema.
Le texte de Veronika Mabardi (à qui on doit également le récompensé Loin de Linden ) est à la fois riche et tacite, laissant une place conséquente aux non-dits. Une subtilité que la mise en scène peine à concrétiser. Les silences, les regards, les tensions manquent pour faire totalement justice à l’écriture de l’autrice belge. L’écriture musicale du spectacle est par ailleurs un bel accompagnement au texte. Jouée directement sur le plateau par le musicien Sylvain Ruffier, cette trame musicale forme une sorte de troisième tableau. Le musicien est en effet également comédien, interprétant Louis, le voisin violoncelliste de la mère.
Maman de l’autre côté a le mérite d’ouvrir la porte à de beaux questionnements sur la force de l’amour et des liens sororaux et familiaux mais également de mettre en scène un événement de la vie sous une lumière plus honnête, moins dramatique où la mort n’est pas synonyme de débordements, de disputes mais d’attente, d’aveuglement et de tendresse. Toutefois, une focalisation trop prononcée sur le passé de la mère au détriment du présent de ses deux filles peut laisser en suspens l’intérêt des spectateur·ices.