D.P.R. Korea Grand Tour
Malaise chez Carl de Keyzer
11 juin 2018 par Natalie Malisse dans Art & ko | temps de lecture: 3 minutes
La galerie bruxelloise Roberto Polo expose jusqu’au 19 mai D.P.R. Korea Grand Tour, la série photographique de Carl de Keyzer, réalisée lors de son voyage en Corée du Nord.

Chaque photographie est colorée, représentant la puissance nord-coréenne et le quotidien de ses citoyens, édulcoré par le régime de Pyongyang qui encadre les prises de vues des photographes et photojournalistes sur son territoire. Sur place, la liberté de photographier pour Carl de Keyzer était donc très restreinte et la vision de la Corée du Nord représentée dans ses images en est biaisée.
La série crée le malaise : quelqu’un n’ayant pas un minimum de connaissances concernant le contexte politique en Corée du Nord pourrait croire qu’il y fait bon vivre. Le pays est en effet présenté comme une nation aux rues propres, aux enfants génies du dessin, aux antipodes de la Corée du Sud. Tout au long de la visite, le doute subsiste : les images déployées révèlent-elles le vrai visage de la Corée du Nord ?
Membre de l’agence Magnum depuis 1994, Carl de Keyzer s’était déjà penché sur les régimes communistes dans ses travaux Homo Sovieticus (1989), consacré à l’URSS de Gorbatchev, et Cuba La Lucha (2015), reportage de son road trip sur l’île cubaine.

La galerie Roberto Polo propose sur ses trois plateaux une exposition léchée avec des images d’une composition raffinée. Professeur de photographie à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand et aux Arts Décoratifs de Paris, Carl de Keyser démontre, une fois encore, qu’il maîtrise pleinement le médium photographique et son art.
On regrette cependant la période argentique du photographe (avant l’an 2000) : dans ses reportages en noir et blanc sur l’Inde notamment, il y sublimait le mouvement par des flous de bougé ou de légers effets d’open flash. Son esthétique, à la Joseph Koudelka, alors criante d’authenticité, contraste aujourd’hui avec ses clichés lisses et propres où la mise au point et la profondeur de champ sont millimétrées.

Le photographe a fait de D.P.R. Korea Grand Tour un jeu de piste, où il dissémine, dans chaque tirage, des indices du totalitarisme de la réalité nord-coréenne : les symboles communistes, le culte du chef, le traditionalisme, la propagande anti-américaine… Une image met ainsi l’accent sur la rigueur écrasante et la course à la performance scolaire, représentant une jeune classe de dessin croquant à la perfection Elegia de l’artiste Arte Povera Giulio Paolini. Et c’est cela qui fait toute la force de la série : de Keyzer nous met au défi, en offrant un point de vue de prime abord univoque, mais dont le véritable message est clair pour qui regarde au-delà des apparences. Son objectif ? Pousser le visiteur à réfléchir sur les notions de propagande et de désinformation.
L'auteurNatalie Malisse
Cinévore et étudiante en photographie documentaire à Bruxelles.Natalie Malisse a rédigé 37 articles sur Karoo.
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