critique &
création culturelle
L’œuvre au noir
de Constantin Meunier

La dernière rétrospective consacrée à l’œuvre de Constantin Meunier datait de plus d’un siècle. Les musées royaux des Beaux-Arts remettent sous le feu des projecteurs cet artiste belge dont les préoccupations sociales sont d’une actualité déconcertante.

Les musées royaux des Beaux-Arts de Belgique nous proposent une rétrospective de l’œuvre de l’artiste belge Constantin Meunier (Etterbeek 1831 – Ixelles 1905). Le nom de cet artiste majeur de la scène réaliste du XIX e siècle, apprécié de son vivant par le public européen, les artistes et les autorités, a été un peu oublié du grand public. Son œuvre, quant à elle, a fait son chemin dans l’imagerie populaire. Mineurs au visage anguleux, ouvriers puissants et dignes, paysages mélancoliques du Pays Noir, scènes infernales dans des fonderies d’acier… les images de Meunier viennent à l’esprit quand on pense à la florissante industrie belge du XIX e siècle. Mais l’organisation chronologique de l’exposition permet de saisir la plus large variété de l’œuvre de Meunier, et son évolution logique, des scènes religieuses de sa jeunesse aux scènes de mines plus tardives.

Dès ses quatorze ans, Constantin Meunier suit une formation classique en sculpture. À vingt ans, il découvre les Casseurs de pierre de Courbet et cette œuvre réaliste le marque profondément. Il continue pourtant à peindre des scènes bourgeoises, des portraits d’enfants, et surtout des scènes de dévotion. Chrétien, il passe du temps dans les monastères où il croque le quotidien des pères, régi par le travail, la rigueur et le silence. Deux Saint Etienne , réalisés à cette période, sont présentés à l’exposition. L’un représente le saint mort, après sa lapidation, seul dans le désert. Un tableau très similaire représente le même saint aux pieds duquel deux pleureuses endeuillées se lamentent. Tableau saisissant, où toute douleur est consommée, où la paix dans la mort succède à la souffrance. Une aube à peine perceptible point au-delà des montagnes indifférentes. Un jour nouveau va effacer la nuit sanglante et nous rappelle que l’Espérance est une vertu chrétienne.

Meunier ne se consacrera à la peinture sociale qu’après un voyage à Séville, au début des années 1880. Il est subjugué par la fierté et la nonchalance des ouvrières espagnoles qui travaillent dans les manufactures de tabac. Après les dockers et les matelots du port d’Anvers, Meunier peint et sculpte les mineurs du Pays Noir. Ils ont la dignité du martyr chrétien et le corps musculeux des dieux antiques. Les mains sur les hanches, son Débardeur dément toute aliénation. Eugène Demolder dira de son travail : « Dans tous ses mineurs et puddleurs , on devine l’esclave. Mais à ces esclaves, il imprime la beauté des gladiateurs » (1901). Aux clairs-obscurs dramatiques des scènes de coulée dans les aciéries succèdent des dessins plus synthétiques, plus sombres, qui ont la couleur et la densité des charbonnages. L’œuvre tardive de Meunier sera entièrement dédiée à ces hommes et ces femmes qui extraient de la terre la richesse du pays. L’exposition met en lumière ce long cheminement qui aboutit à la glorification des petites gens.

Un bémol cependant : le prix d’entrée prohibitif (17,50 € en tarif plein). Prévoyez donc assez de temps pour visiter par la même occasion le musée Fin-de-siècle auquel le ticket donne accès. Les musées royaux des Beaux-Arts offrent bien sûr une visibilité exceptionnelle à cet artiste belge majeur et peu connu du grand public, mais on peut s’interroger sur le coût de cette honorable démarche. Le musée Meunier, situé à Ixelles, et dont proviennent de nombreuses pièces de cette exposition, est quant à lui gratuit…

Même rédacteur·ice :

Constantin Meunier
Jusqu’au 11 janvier 2015, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique