critique &
création culturelle
Des pixels au paradis

Jusqu’au 25 mai, sous le titre Pixels of Paradise , la 9e édition de la Biennale internationale de la photographie et des arts visuels de Liège s’articule en onze expositions explorant les liens ambigus entre image et croyance.

Organisée par le Centre culturel de Liège Les Chiroux, la Biennale internationale de la photographie et des arts visuels de Liège (BIP) propose à chacune de ses éditions plusieurs expositions réparties dans quelques lieux emblématiques de la ville. À travers un ancrage indubitable dans les questions de société, la BIP invite à découvrir de nombreux artistes internationaux, certains reconnus, d’autres émergeants, mais tous artisans de la communication par la photographie, la vidéo et les arts numériques.

Voir et croire

L’édition 2014 du BIP propose une sélection artistique éclectique où la mystification et le sacré sont explorés à l’aune des relations tortueuses qui les lient étroitement à leurs représentations visuelles. Source de promesses, l’image, spontanément, nous hypnotise. Troublante par son va-et-vient permanent entre le vrai et le faux, elle nous fait voir pour mieux nous faire croire. Détentrice d’un véritable pouvoir occulte, sans cesse elle nous trouble, nous convainc, nous rebute parfois, mais toujours nous marque, consciemment ou non. C’est ce point de vue métaphysique de l’image, son immense puissance et notre inaltérable attirance que la BIP 2014 tente de décrypter. Avec une centaine d’artistes venus des quatre coins de la planète, ce sont autant de lectures entrecroisées de l’image comme objet de vénération, outil d’influence et instrument de croyance qui se donnent à voir.
Quatre manifestations majeures ponctuent le parcours de cette édition. Dans l’impossibilité d’être exhaustif, nous nous concentrerons sur quelques œuvres particulièrement marquantes.

Idoles

En point de départ, l’exposition « Idoles », abritée au sein de La Cité Miroir, le nouvel espace culturel situé place Xavier-Neujean. « Idoles » interroge la mise en scène et l’esthétisation du pouvoir et présente pour la première fois en Europe l’installation vidéo de l’Américain Robert Boyd, The Man Who Fell to Earth , un travail de montage particulièrement poignant sur la chute des régimes et des hommes de pouvoir. Pendant un peu plus de neuf minutes, le spectateur laisse son regard et son esprit se faire littéralement percuter par les séquences d’images d’archives : manifestations populaires, défilés militaires, discours enflammés, apogée et déchéance brutale de grands leaders politiques, etc. Distribuée à une cadence infernale sur un triptyque d’écrans, la violence des mouvements et des couleurs hypnotise et terrifie. Des plans du film The Man Who Fell To Earth ( l’Homme qui venait d’ailleurs , dans sa version française), avec pour héros un jeune David Bowie, déçu et déchu, venu sur Terre dans l’espoir de sauver sa lointaine planète, ponctuent le court métrage afin d’instiller en filigrane l’idée de la nature transitoire du pouvoir et sa facilité à corrompre.

Icônes

Sur trois niveaux du musée des Beaux-Arts de Liège, œuvres contemporaines et anciennes coexistent dans l’exposition « Icônes », qui examine la question du portrait et du corps à travers leurs représentations symboliques et mythologiques. Les collages de Thomas Devaux, jeune photographe de mode français, repéré notamment par David Lynch, sont autant de portraits de femmes, d’inspiration préraphaélite. Fragments, déchirures, textures… les corps superbes, écorchés, s’effritent. Les femmes angéliques deviennent madones, martyres brutalisées, torturées. Juste à côté, le grand polyptyque photographique de l’artiste russe Raoef Mamedov célèbre la Cène en cinq panneaux. Quelques secondes sont nécessaires pour déterminer l’origine du trouble qui étreint le spectateur : Jésus et ses douze apôtres sont représentés par des trisomiques. Quoique provocante dans sa composition, c’est une illustration douce et respectueuse dans laquelle on perçoit un message de tolérance. Le Messie ne serait-il pas venu pour tous et plus particulièrement pour les plus faibles d’entre nous ? Quant à la série de photos Orthodox Eros de Léa Golda-Holterman, elle dévoile un aspect quelque peu inhabituel de jeunes juifs orthodoxes. Avec ces innocents éphèbes à demi-nus, l’artiste joue de l’ambivalence entre pratiques religieuses aux velléités purement mystiques et le côté charnel, voire érotique, présent au sein même de la foi la plus pure.

Mirages

« Mirages » prend le contrepied de l’atmosphère baroque et bourgeoise du musée d’Ansembourg (XVIIIe siècle) en présentant à travers des vidéos et des installations visuelles une réflexion sur le virtuel, l’illusion et le vide, notamment générés par les discours des médias.

Pénétrer dans l’univers de Bjorn Melhus n’est pas une sinécure. Le choc peut être rude pour le public non averti. Au premier étage du musée, trois des films de ce vidéaste allemand font référence aux nouveaux médias et à leurs dérives. Ainsi, dans The Oral Thing , l’artiste s’attaque aux jeux de téléréalité et aux émissions populaires où intimité et vie privée s’étalent à la convoitise du plus grand nombre. Dans une mise en abyme angoissante et cruelle, le réalisateur joue tous les personnages ; il est homme et femme, maître et victime, solitaire et foule. Un couple de personnages oscillant entre le loufoque et le terrifiant règle ses comptes devant un public-juge et un présentateur despotique scandant à tout bout de champ, tel un mantra électrisant et extrêmement énervant : « I’ve a big surprise for you ! »

Vues de l’esprit

À la Société libre d’émulation, l’exposition « Vues de l’Esprit » insiste sur le rapport entre la photographie et les manifestations de l’au-delà et de l’invisible, du XIXe siècle à nos jours. La photographie a toujours entretenu une fascination pour ce qui la dépassait et lui échappait : « Voir mieux, voir entre, voir plus loin, voir plus près, au travers ou au-delà. » Une sélection de photographies historiques issues de diverses collections révèle auras inattendus, ombres mystérieuses et silhouettes inquiétantes, tandis qu’une vaste valise dévoile les instruments d’un authentique chasseur de fantôme bruxellois du début du XXe siècle.

Découvrez les huit autres expositions, plus petites mais pas moins intéressantes, sur le site web de BIP2014 : « About the Chair », « Evermore », « OMG », « Prescience », « Datazone », « Panginoon/Borderline », « Revoir » et « Au-delà ».

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