Figé à son poste depuis plus de trois décennies, le Président Robert Mugabe va fêter ses 92 ans et gare à quiconque voudrait le détrôner.
À l’aune d’une succession désormais bien palpable, les divisions et les blâmes se multiplient dans un climat de tension manifeste, quand son pays, le Zimbabwe, gorgé de pierres précieuses, regarde sa population, courageuse et téméraire, braver quotidiennement les incertitudes d’une économie exsangue.
Lire la première partie de notre reportage au Zimbabwe.
« Le grenier à blé de l’Afrique australe »

Cela fait de longs mois que le climat est tendu au sein des élites de la ZanuPF, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique. Dès l’indépendance du pays en 1980, ce parti a occupé la quasi-totalité des sièges du Parlement pendant très exactement vingt ans. Au cours de ces deux décennies, la ZanuPF, représentante de l’ethnie Shona à laquelle appartient Mugabe, a régné en maître, s’offrant les pleins pouvoirs pour modifier inlassablement une constitution adaptée aux désidératas du chef de l’État, qui est aussi le secrétaire général du mouvement depuis 1977. En 1983, une rébellion de l’ethnie rivale Ndebele, autrefois liée à la ZanuPF, fait intervenir les milices secrètes de l’armée, formées par la Corée du Nord. Les Ndebeles, habitants du Matebeleland, dans le sud du pays, subiront un nettoyage ethnique qui durera quatre ans. S’agissant du nombre de victimes, les chiffres font souvent le grand écart, certaines sources avancent le nombre de 10 000 morts, quand d’autres font état de 20 000 tués.
En février 2000, un référendum révèle au grand jour le ras-le-bol de près de 60 % de la population, épuisée par une énième demande de modifications constitutionnelles, mais aussi terrifiée par un régime despotique. Le parti d’opposition MDC (Mouvement pour le changement démocratique), fondé en 1999, entreprend de mobiliser les Zimbabwéens pour les convaincre de se soulever contre des conditions de vie inacceptables. Conduite par Morgan Tsvangirai, un syndicaliste autrefois mineur, la toute jeune formation se met à dénoncer sans relâche une situation politique et sociale des plus préoccupantes, surtout pour les plus démunis. Face aux revendications, les dirigeants font la sourde oreille et les rassemblements et les grèves sont systématiquement réprimés avec une très grande brutalité.
Parmi les propositions de la ZanuPF rejetées par le peuple, figurait la réforme agraire, une loi visant à « redistribuer les terres aux vétérans de la guerre d’indépendance ». Pour Mugabe, peu importe le résultat du referendum, le décret sera appliqué. Et la tragédie survient. L’expropriation ultraviolente des terres appartenant aux fermiers blancs par des milices armées sans foi ni loi marque le début d’une sombre histoire. Une dizaine de cultivateurs blancs (garants de la très bonne santé économique du pays) sont assassinés. La plupart fuiront à l’étranger, forcés de céder leurs gigantesques exploitations aux proches et amis du pouvoir, tous inaptes aux métiers de l’agriculture.

Le nouveau millénaire précipitera le Zimbabwe dans une faillite abyssale. En seulement quelques années, les fermes sont laissées à l’abandon, les exportations diminuent, les investisseurs prennent la poudre d’escampette et les sanctions internationales n’arrangent pas les choses. Les usines commencent à fermer les unes après les autres, le secteur touristique s’effondre, l’économie dégringole et la répression est terrible vis-à-vis des opposants. Le chômage atteint 70 % et l’inflation, totalement délirante, fait émettre des billets de banques de 500 000 dollars zimbabwéens, mais aussi de 1 million, 100 millions, et même de 100 000 milliards de dollars, qui serviront par exemple à acheter un pain. S’ajoute au chaos une terrible sécheresse qui sévissait déjà depuis des années. L’eau vient à manquer, les cultures se désintègrent et la famine guette : « Pour nourrir la famille, mon mari partait en Afrique du Sud où il achetait une vache entière, nous la découpions en morceaux et on mettait le tout au congélateur, cela nous permettait de voir venir », explique Nkulu, soixante ans, employée dans l’administration publique.
Aussi, le manque de combustibles provoque des scènes ahurissantes. Kelvin, âgé d’une quarantaine d’années, se souvient : « À cette époque, les voitures s’arrêtaient tout d’un coup en plein milieu de la rue, c’était incroyable. […] Les stations-services étaient vides, on se disait tout simplement qu’on allait prendre notre véhicule et conduire le plus loin possible. Quand il n’y avait plus d’essence dans la voiture, on la laissait là pendant plusieurs jours, le temps de retrouver du fuel. » La déforestation est également importante et l’érosion des sols, inévitable : pour se chauffer et cuisiner leurs aliments, les gens n’avaient pas d’autre choix que de se ravitailler en bois.
« Le grenier à blé de l’Afrique australe », tel était le surnom du Zimbabwe jusqu’en l’an 2000, adopté par l’ensemble d’une communauté internationale émerveillée par tant de prouesses marchandes et sociales. Riche en ressources naturelles, doté d’un excellent système d’éducation et de santé, le pays connaissait aussi l’autosuffisance alimentaire grâce aux nombreuses cultures de rapport. Jadis, il n’y a pas si longtemps, le café, le sucre, le coton, le tabac et des tas d’autres denrées approvisionnaient la nation et les pays étrangers. Même les préoccupations écologiques n’étaient pas oubliées : « Jusqu’à la fin des années 1990, je travaillais dans une usine de recyclage de papiers », raconte Andrew, aujourd’hui pasteur.
[À suivre]
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