« 1 001 frontières »
Philip de Saintange a été voir pour Karoo un spectacle de marionnettes,
1 001 frontières (l’Histoire d’Aladin)
, suivi d’une exposition à l’Espace Scarabeus. Un projet européen qui a le mérite de croiser les genres et d’attirer notre attention sur l’histoire de la marionnette en Europe.
« Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne », écrit Victor Hugo en 1849.
C’est également le thème qu’aborde conjointement une exposition consacrée aux marionnettes à travers l’Europe et un spectacle liant marionnettes et images stéréoscopiques en trois dimensions.
1 001 Frontières (l’Histoire d’Aladin)
Tout d’abord le spectacle. Il est le fruit d’une collaboration entre des artistes belges, roumains, hongrois, tchèques et espagnols… Quelques frontières traversées au nom de l’art , tandis que le spectacle dépasse les limites artistiques en combinant tradition et modernité. Imaginez des marionnettes à fil se déplaçant dans un décor virtuel visible grâce à des lunettes polarisantes. Et ce n’est pas tout : certains objets et autres personnages volent par-dessus la tête des spectateurs qui tentent de les attraper… Mais tout cela n’est qu’illusion, des images en trois dimensions stéréoscopiques créées par Armand Richelet–Kleinberg . « L’effet stéréoscopique de la 3D, nous explique le concepteur-créateur belge, n’est pas celui utilisé au cinéma où la troisième dimension apparaît sur ou derrière l’écran. Ici, la polarisation des images les place bien en avant de la scène, au dessus du public, et chacun tente de les toucher, les enfants comme les adultes ; c’est impressionnant. Ensuite, on se laisse emporter par la magie du spectacle. L’histoire d’Aladin est universelle. »
En effet, sur scène, le charme opère autrement. Le scénario de la pièce nous raconte la vie de comédiens ambulants. Ils sont arrêtés à la frontière et ne peuvent la franchir qu’à la condition d’improviser un spectacle afin de convaincre le douanier. Pour le plus grand bonheur du public, par la magie et l’humour, les marionnettistes gagnent leur droit de passage en s’inspirant de l’histoire d’Aladin. Du théâtre dans le théâtre, donc, où marionnettes à fil, marionnettes bunraku ((Ce sont des marionnettes de grande taille, manipulées à vue, d’origine japonaise.)) ainsi que de la commedia dell’arte se mêlent d’une manière absolument originale.
Entremêler images 3D et marionnettes, génération ultra-moderne et art ancestral est une hybridation qui fonctionne. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un coup d’essai pour Armand Richelet et ses partenaires puisque leurs précédentes productions, Vingt Mille Lieues sous les mers , Pinocchio et le Compagnon de route (mis en scène de Radu Dinulescu), employaient déjà cette technique., Washington et New York ont accueilli la version anglaise de cette pièce créée en roumain, tandis que le festival À pas contés de Dijon en a proposé des représentations en français.
Exposition « Itinérances »
1 001 Frontières s’accompagne d’une exposition de marionnettes, « Itinérances », conçue par Jean-Paul Lang, du Théâtre de Belfort (France). L’expo a posé ses valises et planté ses castelets et petits théâtres au cœur de la capitale européenne, dans un lieu théâtral plus connu de la communauté grecque : l’Espace théâtral Scarabaeus à Schaarbeek.
Le concepteur de l’exposition, Jean-Paul Lang, conférencier lorsqu’il ne manipule pas lui-même, explique que les marionnettes sont présentes dans la vie de l’homme depuis l’Antiquité. Au fil des siècles, elles ont évolué tant sur le plan technique que social. Bien qu’apparues dans différentes régions du monde, elles possèdent un point commun universel : leur rôle revendicateur. La marionnette parle au nom du peuple, contre le pouvoir et l’injustice.
Pour donner toutes les explications nécessaires sur l’histoire de Polichinelle, Petrouchka, Kasperle et autres amateurs de beaujolais, tel Gnafron, M. des Boscailles, comédien de la compagnie Les Spectacle Charles Kleinberg, associé au projet depuis le début, est présent sur place et vous servira de guide. Il vous racontera la vie des marionnettes avec tout son art de conteur, vous apprendra par exemple que Mourguet, le créateur de Guignol, n’était qu’un arracheur de dents qui souhaitait simplement attirer plus de monde à son échoppe . L’art du boniment est la première publicité en quelque sorte. Une success story quand on sait que « guignol » est le nom commun qui désigne les marionnettes dans de nombreux pays étrangers, comme le Mexique ou la Russie.
Destinée à un large public, l’exposition invite donc à découvrir l’univers de la marionnette depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours en traversant l’Europe d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Tchantchès et les personnages de Toone trônent parmi les héros italiens et anglais, bulgares et allemands. « Des cousins germains pourrions-nous dire », précise M. des Boscailles avec un clin d’œil, en ajoutant que « les pièces présentées sont aussi un reflet des différentes techniques de manipulations : marionnettes à tringle, marionnettes à gaines, marionnettes à fils et marionnettes sur table… »
« Itinérances » est
un projet européen
qui regroupe des collaborateurs étrangers :
Les Spectacles Charles Kleinberg (Belgique), la compagnie Une poignée d’images (France), le théâtre d’Arad en Roumanie et le théâtre Karromato en République tchèque. Il s’agit déjà de
la seconde collaboration artistique de ces partenaires
puisqu’en 2010, ils s’étaient investis dans « Vagabondages ». Le nouveau projet se place dans la continuité du premier en proposant l’accès à la culture pour les personnes défavorisées. C’est la raison pour laquelle l’exposition est entièrement gratuite, ainsi que le spectacle 1 001 Frontières.
Les concepteurs du projet ont repris la philosophie de Cocteau qui disait : « Il y a trop d’âmes en bois pour ne pas aimer des personnages en bois ayant une âme. »