BFF 2016
Du 17 au 24 juin, le Brussels Film Festival s’installe notamment à Flagey, comme chaque année depuis 2003. La manifestation se focalise essentiellement sur le cinéma européen, tout en accueillant quelques jeunes talents en provenance du reste du monde.
Du 17 au 24 juin, le Brussels Film Festival s’installe notamment à Flagey, comme chaque année depuis 2003. La manifestation se focalise essentiellement sur le cinéma européen, tout en accueillant quelques jeunes talents en provenance du reste du monde.
Parmi les films en compétition au festival, j’ai atterri devant
Couple in a Hole,deuxième film du réalisateur belge Tom Geens. Traduit par
Sauvagesen français — merci la France de massacrer encore une fois le titre d’un film, surtout lorsqu’on sait que celui-ci est souvent savamment choisi —, il raconte l’histoire d’un couple, Karen et John, vivant dans les bois. Si à la lecture de ce résumé, si bref et si concis, on pense plus à un camping de cheveux sales vivant d’amour et de
world music, c’est normal, mais erroné. Tom Geens extirpe un couple de classe moyenne de son habitat confortable pour le plonger dans un environnement hostile et inhospitalier. Ce qui intéresse surtout le réalisateur belge, c’est de montrer le caractère animal qui sommeille en l’être humain, que cela soit sa faculté d’adaptation à son environnement, son comportement face aux autres ou encore l’usage de ses sens.
Cependant, Geens ne va pas au bout de cette exploration et crée dans sa diégèse une relation du couple avec l’extérieur, au lieu de se focaliser uniquement sur sa vie dans les bois ; le passé de John et Karen constitue alors le nœud dramatique du récit. Nous sommes donc moins dans une œuvre expérimentale qui explore le comportement de l’être humain dans un environnement inapproprié que dans un drame psychologique, où la nature fonctionne comme un symbole.
John est le personnage le plus intéressant et complexe de ce film, interprété par un majestueux Paul Higgins, tiraillé entre la peine de l’événement mystérieux, l’amour pour sa femme et son désir de renouer avec la société. C’est lui qui permet réellement à l’histoire de prendre de l’ampleur et de transmettre des émotions. Les scènes les plus intéressantes sont d’ailleurs celles où il est seul face à la nature, où il est plongé dans cet environnement vaste et sans fin, âpre mais somptueux. C’est cette même nature qui est montrée au début du film comme sublime et accessible, et qui se transforme au fil du récit en un endroit qui peut se montrer d’une extrême rudesse, comme pour refléter l’état d’esprit des personnages et leur avancement dans la diégèse du film.
Tom Geens parvient à magnifier cette nature. Grâce à son directeur de la photographie, Sam Care, il nous gratifie de quelques plans bluffants de beauté. L’esthétique du film, brutale et pure, permet le rapprochement avec ce que peut faire un Terrence Malick. Loin de laisser à l’image seule le soin de transmettre des émotions et des impressions, Geens use d’une bande-son surprenante et déconcertante. Il fait appel à Beak>, dont l’un des deux musiciens n’est autre que Geoff Barrow, membre fondateur de Portishead. La musique de Beak> est utilisée la plupart du temps lors des errances des personnages dans les bois. Elle sert ainsi à illustrer musicalement leur état intérieur, ce qu’ils ressentent. Alors qu’on pouvait s’attendre pour ce genre de film à une pop folk lancinante accompagnée d’une voix plaintive, Beak>nous offre des séquences musicales teintées d’électro minimaliste, tantôt planantes, tantôt inquiétantes.
Couple in a Hole est une œuvre hautement sensible, synesthétique, qui parvient, par ses images, à émerveiller les inconditionnels du cinéma contemplatif et qui, par son histoire, amène son lot de drame et suscite ainsi l’empathie. C’est donc en tant qu’équilibriste que Tom Geens nous livre son deuxième long métrage. Je le répète car c’est important, ce n’est que son deuxième long métrage. Le travail sur le son est déjà considérable : du crépitement du bois sous les ongles de Karen au dur labeur des fourmis, tout s’entend et se fait ressentir.
Néanmoins, si le réalisateur belge fait preuve d’une grande maîtrise dans la majeure partie de son film, il semble perdre pied lors de sa conclusion. La prolifération des symboles (Adam et Ève, la caverne, le sanglier, le serpent qui mange la souris, etc.) ne fait que surcharger un récit qui aurait mérité une plus grande sobriété interprétative. Cette surenchère, gratuite la plupart du temps, fait sortir le spectateur de son immersion et le fait s’interroger sur l’interprétation du symbole qu’il pense avoir reconnu.
Contrairement à ce qu’une vieille dame a pu crier en sortant de la salle – « It was horrible, HORRIBLE » –, alors que le réalisateur entrait pour répondre à quelques questions à la fin de la séance, j’ai trouvé le film plutôt magistral malgré ses quelques maladresses. Ne faites donc pas confiance à la déclaration abusive de cette vieille dame, et allez voir le film si vous en avez l’occasion.