Présentée du 28 au 31 décembre à l’Atelier Jean-Vilar, la pièce Bigre de Pierre Guillois nous a littéralement conquis en cette fin d’année. Des scènes cocasses et hilarantes, de la créativité et des performances clownesques. Il n’en fallait pas plus pour susciter le coup de cœur !
Après une tournée triomphale chez nos voisins français, le Molière 2017 de la meilleure comédie a posé ses bagages à Louvain-la-Neuve ! Véritable pépite du théâtre de l’absurde où cris, soupirs, rires et chansons remplacent la parole, Bigre offre une performance d’acteurs désopilante. Bigre. Quel curieux mot pour nommer une pièce de théâtre. Ou devrions-nous plutôt dire un spectacle clownesque ? Savez-vous au moins ce que signifie ce mot avant d’aller plus loin dans cette critique ? Relevant du registre familier, « bigre », atténuation du mot « bougre » – qui à l’origine désignait un homosexuel, un sodomite comme on le disait encore à une certaine époque –, est généralement employé pour exprimer la surprise. Maintenant que c’est plus clair dans les esprits de tout le monde, nous pouvons continuer.
Bigre , c’est donc l’histoire de trois voisins résidant dans des chambres de bonnes parisiennes : un gros barbu maniaque fan de karaoké ; un grand mince victime d’accumulation d’objets chronique – on appelle ça la syllogomanie ! –, et une jeune femme pulpeuse en mal d’amour et de vocation professionnelle. Voisins de palier, ces trois hurluberlus partagent, sans le savoir, bien plus en commun : le don de rater tout ce qu’ils entreprennent. Ce qui fait le bonheur du spectateur puisque leur quotidien est prétexte à toutes les mésaventures, gags et catastrophes en tout genre. Cascades, voltiges d’objets, incendie, fuites, hémorragie et tempêtes font notamment partie des quelques péripéties que traversent pendant une heure et demie nos protagonistes.
Une mise en scène soignée
Sur scène, les chambres de bonne sont bel et bien construites dans les moindres détails, de sorte qu’on se croit vraiment sur le palier de ces personnages hauts en couleur ! À elles trois, les chambres nous transportent dans un univers chaque fois bien particulier (ambiance aseptisée, capharnaüm et studio 100 % girly ). Une machinerie prodigieuse permet quant à elle de rythmer les différents volets qui jalonnent l’histoire de Bigre . Comme dans une maison de poupée grandeur nature, le spectateur accompagne les personnages dans leurs moindres faits et gestes quotidiens (confection du repas, bain de soleil, ménage, changement de tenue…). Cette mise en scène très originale et réaliste revêt une grande importance car, tout comme les éléments semblent au fur et à mesure se déchaîner contre les comédiens présents sur scène, l’immeuble qu’ils occupent semble lui aussi leur rendre la monnaie de leur pièce.
Seuls dans leur bulles, pathétiques dans leurs efforts, les trois acteurs n’en sont pas moins terriblement touchants dans leurs maladresses et leurs mesquineries de grands enfants. Tout au long de la pièce, on rit énormément. Vraiment. Je dis « on » car il ne m’a pas semblé avoir déjà entendu une salle rire autant à gorge déployée lors de mes sorties théâtrales précédentes. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Avec Bigre , Pierre Guillois nous parle aussi de la solitude qui règne dans nos villes contemporaines, et ce avec justesse et poésie. Plus que sur des citadins esseulés, Pierre Guillois se penche sur une époque où l’on n’occupe désormais plus collectivement une rue ou un quartier avec sa tribu mais où l’on vit – seul(e) ou avec sa petite famille – dans un appartement ou une maison, séparés de nos congénères. Rêves, espérance, travers, désillusions… on vit toutes ces émotions avec ces trois clowns sans nez rouge et c’est tout simplement beau !
Si les trois comédiens rivalisent de brio pour donner corps au burlesque moderne, nous décernerons une mention spéciale à Jonathan Pinto-Rocha, qui campe le rôle du gros monsieur barbu et mordu de ménage. Je ne suis personnellement pas près d’oublier les épisodes du karaoké, de la session de coiffure ou encore (pour ne citer qu’elle) de la visite chez l’infirmière ! En somme, comme l’a si bien dit un spectateur assis derrière moi en fin de soirée : « c’est bigrement drôle ! »
Si vous avez raté la pièce, rendez-vous en France en 2019 où le trio sillonnera un grand nombre de départements. Tout le détail de l’agenda sur : www.pierreguillois.fr