critique &
création culturelle
Black Clouds
Weblosers

Après un parcours détonnant et non content du rythme de création effréné qui le caractérise, le metteur en scène Fabrice Murgia nous revient en 2017 avec Black Clouds , proposé en cette édition du Festival de Liège.

Créée en juillet 2016 au Napoli Teatro Festival et dotée d’une distribution paritaire belgo-sénégalaise, la pièce devrait faire son bout de chemin dans nos contrées avant de repartir vers le Sénégal, accompagnée d’un projet éducatif.

Il y a le web, cette toile tantôt synonyme de partage et d’ouverture, tantôt d’asservissement et d’isolement. Sur Terre, il y a le Nord, il y a le Sud, on s’interroge encore et toujours sur les stigmates relationnels de l’entre-deux. Tourisme sexuel, dette, pillage des ressources, pollution de la Terre, privatisation de l’accès à l’information et au savoir… La plaie saigne abondamment. C’est en ces lieux que les artistes de la compagnie Artara viennent puiser une matière sensiblement pertinente à l’heure où l’internet, après avoir pénétré de plein fouet une humanité avide de connaissance et de partage, pose paradoxalement la question d’une fracture numérique divisant les individus.

Ce n’est pas Aaron Swartz qui nous contredira, ce militant pionnier de l’ open access , pirate malgré lui et criminel aux yeux de la loi. Si la présentation de son destin de martyr malheureux est le plat d’entrée du spectacle, il n’en en est pas l’unique fil rouge. Le travail de Fabrice Murgia et de la compagnie Artara s’étend aux relations Nord-Sud. Il prend racine au Sénégal avec des ateliers de théâtre menés à Sally, auxquels s’ajoute un travail de recherche et de réflexion dont le spectateur prend la mesure au fil des récits.

Sur scène il y a des écrans, des fenêtres et dans ces fenêtres, des destins qui expriment leur réalité sur un plateau dominé par l’omniprésence de l’image vidéo. Dans un espace quadrillé à géométrie variable, quatre comédiens (Valérie Bauchau, François Sauveur, Fatou Hane et El Hadj Abdou Rhamane Ndiaye) donnent chair à ces tableaux hyperréalistes. On y retrouve des personnages tout aussi libres que prisonniers.

Un « brouteur », arnaqueur ivoirien, prend sa revanche sur les pères colonisateurs en colonisant les corps de leurs filles. La dystopie d’un futur transhumaniste, triste, seul et confiné dans sa chambre cherchant l’immortalité numérique. Sur une terre de cendres, cimetière de l’informatique occidentale, des êtres humains brûlent des câbles et les carcasses des appareils désuets dont le monde cherche à se débarrasser pour en retirer du précieux cuivre. Murgia les imagine comme récepteurs de toutes les données contenues dans ces vestiges. Ils sont les charognards de la mémoire du numérique, naufragés de l’océan de l’information. La fracture numérique s’expose ; entre le Nord et le Sud, l’accès ou le non-accès à internet est un révélateur d’espoir, d’ouverture, d’éducation ou, tout au contraire, un moyen d’escroquerie ou de dérives, d’abrutissement.

Dans Black Clouds , il y a beaucoup de puissance et peu de délicatesse. Aussi de l’humour. Il y naît et meurt de l’espoir, des idéaux. Il y vit des images, de la lumière et des cendres. On y trouve aussi une volonté de conviction vive, ardente et urgente. Posée sur ce rythme endiablé, une surprésence de l’image, totale, qui lie le spectateur aux écrans en le rendant hélas quelque peu hermétique aux acteurs, aux corps présents en chair (et donc surtout en images). Des fenêtres qui peuvent très bien laisser sur le carreau. La superficie volontairement démesurée des écrans qui s’enchaînent, de même que l’espace qu’ils occupent dans la narration, viennent pointer de manière emphatique et sans grande finesse la culture de l’image oppressante censément dénoncée. Ce qui sonne le glas du traitement alternatif plus subtil de cette matière, privée d’une poésie pourtant loin d’être superflue. De là à tirer sur des ambulances…

Point de nuages noirs à l’horizon pour Black Clouds , probablement pionnier de l’expérience, de la maîtrise technique dans une mise en scène cinématographique, oserait-on dire occidentalisée ?

Même rédacteur·ice :

Black Clouds

Écrit et mis en scène par Fabrice Murgia et la compagnie Artara
Avec Valérie Bauchau, Fatou Hane, El Hadji Abdou Rahmane Ndiaye, François Sauveur
Assisté par Vladimir Steyaert
Vidéo créée par Giacinto Caponio
Son créé par Maxime Glaude
Lumières imaginées par Émily Brassier

Vu le 3 février 2017 au Festival de Liège .