critique &
création culturelle

Bonom : à la vie, à la mort

Première exposition monographique de Bonom/Vincent Glowinski. L’occasion de découvrir les multiples facettes d’un artiste qui se joue de l’espace et du temps.

Depuis 2005, les dessins monumentaux de Bonom sont apparus sur les murs de la ville, à Bruxelles ou à Paris. Un bestiaire urbain peuplé de squelettes et d’animaux : araignée, méduse, dinosaure, baleine, renard… Derrière le coup de brosse rapide, le spectateur devine l’urgence du trait, le travail accompli de nuit, loin des regards, dans un équilibre précaire entre le ciel et le sol. C’est certainement ce qui frappe le plus lorsque l’on croise un dessin de Bonom : derrière l’image, il y a le geste d’un homme suspendu à une corde, le bras tendu, sur les toits, dans le vide. Le danger est bien présent dans le travail de l’artiste et, bien qu’invisible, il relève autant de la performance que du graffiti. Pour les amateurs du genre, Bonom est une légende.

Ian Dykmans, Rue Ravenstein, Bruxelles, automne 2008 (tirage argentique sur papier baryte 17,8 x 24 cm) © Ian Dykmans

Dernièrement, il est sorti de l’ombre et de l’anonymat. Et aujourd’hui, c’est sous son nom, Vincent Glowinski (né à Paris en 1986), qu’il apparaît dans l’exposition que L’iselp consacre à son travail et à sa collaboration avec le photographe Ian Dykmans.

Exposer à l’intérieur un artiste dont le terrain de jeu est celui de l’espace public est une gageure. Mais la pratique artistique de Vincent Glowinski dépasse largement le champ du street art et cette exposition permet d’en prendre la mesure.

Bien sûr, à travers les photographies des œuvres telles qu’elles ont pu être aperçues dans la ville, c’est peut-être d’abord à l’aspect le plus connu du travail de Bonom que le spectateur pourra se raccrocher.

Ces animaux géants, souvent inquiétants de par leurs dimensions, comme surgis d’une autre époque, entretiennent un dialogue inattendu avec l’environnement dans lequel ils viennent s’inscrire, créant un décalage temporel et spatial assez déroutant.

Ici, la photographie permet de laisser une trace à ces œuvres dont la longévité est très aléatoire. En utilisant le procédé de développement manuel au lith, le photographe prolonge dans l’image qu’il saisit le caractère éphémère du geste de l’artiste. Le processus du lith laisse une place importante à l’imprévisible. Et comme les papiers utilisés pour ce type de développement ne sont plus commercialisés, on retrouve dans la matière même de la photographie le caractère éphémère du graffiti. Les images documentent autant qu’elles racontent : on y voit Bonom à l’œuvre, la nuit, dans des atmosphères mystérieuses, hors du temps.

À côté des photographies, on pourra également découvrir d’autres aspects du travail de Vincent Glowinski. Les dessins préparatoires, regroupés dans plusieurs espaces du lieu sous forme d’installation de dessins à l’encre, au fusain, à l’aquarelle ou au crayon, montrent l’obsession pour certaines figures, notamment la pieuvre, le singe et l’araignée. Les mouvements répétés des pattes ou des tentacules rappellent ceux du peintre et du danseur et renvoient aux vidéos présentées dans une partie de l’exposition. Depuis 2008, Vincent Glowinski développe, notamment aux côtés de la compagnie Ultima Vez de Wim Vandekeybus, des performances qui allient mouvements, sons et images. À l’aide de capteurs et d’une caméra, les mouvements du corps de Vincent sont restitués sur grand écran ; fusion du corps du danseur avec celui du peintre.

La sculpture est également présente dans l’exposition : le squelette d’un serpent de quinze mètres de long, immense marionnette articulée, recouverte d’une membrane parcheminée en cuir. Le reste d’un animal mort, à partir d’un autre reste d’animal à qui l’artiste redonne vie. Ce va-et-vient constant entre la vie et la mort est peut-être le point commun entre toutes les pratiques artistiques développées par Vincent Glowinski. À l’image de la série d’œuvres qu’il a consacrée à son père décédé : croquis de l’homme sur son lit de mort, minuscule figurine fragile pendue à un fil ou immense portrait qui s’élève sur un immeuble aux abords d’une gare bruxelloise. Des tailles et des supports différents pour évoquer le souvenir mais aussi pour, à travers l’art, refaçonner la vie par l’évocation de la mort.

À noter : à l’occasion de l’exposition, la sortie d’une très belle monographie, Bonom, le singe boiteux (L’iselp-CFC Éditions), qui sera dédicacée à L’iselp par Vincent Glowinski et Ian Dykmans le 22 février à 14 heures.

Même rédacteur·ice :

Bonom, le singe boiteux : Ian Dykmans et Vincent Glowinski
Jusqu’au 22 mars 2014, à L’iselp
www.iselp.be