BUG
Alors disons que c’était mieux
Entre le 6 et le 10 juin de cette année, le théâtre des Brigittines a accueilli le nouveau spectacle d’Ingrid von Wantoch Rekowski, BUG , une révision du quatuor à cordes où les corps deviendraient les instruments d’une partition diabolique.
Leur quotidien est bien réglé. Ils répètent les mêmes gestes aux mêmes heures. Une mère, un père et leur fils. Des repas comme une litanie de la vie de tous les jours. On tient son rôle, on crie, on crise. La famille plaque des obligations et des interdits, elle norme les comportements, elle enferme dans des postures. Tout ceci semble si bien huilé, avec sa dose autorisée de drame. L’enfant turbule et pianote sur la table comme sur les touches d’un clavier invisible. Mais la musique est déjà là depuis le début du spectacle sans qu’on y ait fait attention. Elle nous paraît si familière. Maintes fois nous l’avons entendue et même jouée. Les sons de la vie se mêlent et créent des ritournelles. Cette musique concrète, par la répétition de motifs, convoque la répétition tout court. Les personnages se lassent dans ce carcan parfaitement calibré. Et un nouveau personnage apparaît. Ange caché sous des traits féminins et une robe blanche, il vient dérégler cette mécanique familiale.
Si on a vu Théorème de Pasolini, on pensera à l’arrivée de l’Ange dans la famille bourgeoise du film du grand poète et réalisateur italien. Et on aura raison d’y penser car la référence est voulue, Ingrid von Wantoch Rekowski le dit. Mais le lien entre les deux œuvres s’arrête là. Au début, il est vrai, le charme opère, on assiste à un spectacle en gros plans sonores et on se souvient de la subversion par le son des films de Tati se rappelle à nous. Les habitudes s’accumulent et on voudrait croire à un palimpseste mais on réécrit une histoire identique à la précédente. On rit, on réfléchit, on attend un changement. L’Autre se glisse sur la scène et pousse les panneaux du décor, élargit l’espace, laisse entrer de l’air dans cette famille qui étouffait sur elle-même. Mais à la répétition suit l’hystérie. Le premier mouvement était connu, comme pour mieux nous leurrer. Et se déchaîne une symphonie de corps et de cris. L’arrivée du bug bouleverse la vie de cette famille mais aussi les oreilles du spectateur qui se retrouve pris dans une frénésie visuelle et sonore.Après une heure de spectacle, le fils de s’extrait enfin de la famille et suit sa voie. L’épilogue est heureux et délirant. La lumière et le silence reviennent. Un « quatuor à corps » s’endure donc physiquement et ça semble évident. De l’expérience qui s’est déroulée dans la salle, on est en droit de se demander à quoi elle mène.
Chorégraphies et compositions tendent parfois vers l’improvisation et la cacophonie. Les personnages saturent et le spectateur aussi. On peut écrire une partition avec quelques notes en boucle, il suffit d’écouter Philip Glass pour s’en convaincre. Mais dans son travail, le compositeur américain joue sur d’infimes variations, par des inflexions savantes, des ruptures imperceptibles. Derrière la répétition se cache une orfèvrerie patiemment ouvragée. Il ne s’agit d’une poignée d’idées répétées, étirées, éculées. Et chez Pasolini, le sous-texte poétique et politique éclate dans chaque plan, dans chaque dialogue, libre et virulent comme son réalisateur. Ce n’est pas de l’épate bourgeois mais une série d’uppercuts assénés à la bourgeoisie.
Je suis sorti de la salle et la fin du printemps était toujours là. Voilà, je venais de voir un spectacle et il me faisait déjà réagir. Provoquer, c’est bien. Provoquer des réactions, c’est mieux. Alors disons que c’était mieux.