« Can I go home with you ? »
La photographe belge Bieke Depoorter sait que le hasard fait bien les choses. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a notamment parcouru la Russie, les États-Unis et l’Égypte à la recherche d’inconnus qui accepteraient qu’elle passe une nuit chez eux. De ces rencontres brèves ressortent des portraits chargés d’atmosphères. Des images effleurant les frontières entre réalité et fiction.
Alors que la plupart des photographes développent généralement un plan précis avant de se lancer dans un nouveau projet, Bieke Depoorter (°1986) a décidé de faire tout l’inverse, laissant le hasard et son instinct faire les choses. « Pour tout ce que je fais, j’ai tendance à suivre mes sentiments, mon instinct. Avec la photographie, c’était pareil.1 »
Pour choisir ses sujets, Depoorter opte généralement pour une approche directe : elle parle aux gens qui l’intriguent dans la rue et puis leur demande si elle peut loger chez eux, le temps d’une nuit. La confiance et l’échange sont les clefs de son travail. « C’est vraiment important pour moi, lors d’un projet, d’être là en tant que personne et pas seulement en tant que photographe. Les deux vont ensemble. C’est une manière de prendre le moment et d’être en relation avec les gens. Il m’arrive parfois d’être dans un réel échange de confidences avec eux. Ensuite, je prends des photos mais ce ne sont pas des photos de leur ‘vie’. Cela reflète plutôt des instants de leur intimité.3 »
L’intensité de ces échanges n’est rendue possible que par la brièveté de leur rencontre. Le lendemain, tout le monde sait qu’elle aura déjà disparu. Bieke raconte la magie de ce caractère éphémère : « Il est plus facile de partager des secrets avec un étranger − quelqu’un que vous savez que vous ne reverrez jamais − qu’avec un ami proche que vous voyez tous les jours. Pour moi, il y a quelque chose de spécial à propos de la nuit et des gens chez eux. Quand il fait noir, l’atmosphère change. Les gens sont plus réels, d’une certaine manière. Dans la rue, vous prétendez être quelqu’un d’autre. Je le fais moi-même. Mais quand vous rentrez chez vous, cette couche se détache.5 »
En 2008, dans le cadre de son projet de master en photographie de l’Académie des Beaux-Arts de Gand, la photographe flamande a décidé partir à la découverte de la Russie et de ses habitants. Ne parlant pas un mot de russe, elle avait demandé à une connaissance de Moscou de lui écrire quelques indications en russe sur un bout de papier : « Je cherche un endroit pour passer la nuit. Je ne veux pas rester dans un hôtel parce que je n’ai pas beaucoup d’argent et que j’aimerais voir comment les gens vivent en Russie. Peut-être que je pourrais rester chez vous ? Merci beaucoup pour votre aide !7 »
Il s’agissait de son projet Ou Menya , fruit d’une incursion dans l’intimité de plusieurs familles russes issues de villages reculés. Un projet salué par la critique et pour lequel elle gagnera même, à l’âge de 25 ans seulement, le prix Magnum Expression Award. Une récompense de la célèbre agence de photographie Magnum, agence qu’elle intégrera pleinement comme membre en 2016, après avoir passé plusieurs étapes de sélection.