Comment c’est loin Un message générationnel
On pourra dire que 2015 aura été l’année d’Orelsan. Après l’obtention d’un second Victoire de la musique pour son album Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters et le succès de la mini-série humoristique Bloqués sur Canal +, coécrite avec Kyan Khojandi 1 , le rappeur de Caen aura-t-il autant de succès au cinéma ?
En janvier, les rédacteurs font leur rétrospective 2015. Ils ont chacun élu un film sur lequel ils souhaitaient écrire. Des coups de cœur aux espoirs insatisfaits, certains partageront aussi leurs attentes pour 2016. Rendez-vous donc chaque mercredi pour la rétrospective 2015 de Karoo Cinéma !
Il est bien sûr normal de se poser la question de la légitimité de ce premier film, intitulé Comment c’est loin . Après tout, nombre d’artistes, alors au sommet de leur carrière (pensons à 50 Cent, Britney Spears…), ont proposé des films semi-autobiographiques qui ressemblaient bien plus à des coups de marketing qu’à de vraies œuvres personnelles. En annonçant que son film serait l’illustration de son album les Casseurs Flowters (2014), qui racontait déjà vingt-quatre heures de la vie de deux rappeurs provinciaux de trente ans errant entre soirées alcoolisées et centres commerciaux pour tromper l’ennui, Orelsan semblait se tirer une balle dans le pied. Un film qui sent le réchauffé et le « fan service », vraiment ?
Se voulant une adaptation de l’album, le long métrage en conserve au moins deux qualités indéniables : l’honnêteté et la franchise, sans jamais tomber dans le vulgaire gratuit ou dans ce fameux « fan service ». Bien au contraire : on sent qu’à l’écriture, Orelsan a tout fait pour éviter ces écueils. Il y a bien sûr des clins d’œil destinés aux fans, mais ils sont discrets. Le rappeur choisit plutôt de mettre l’accent sur ce qui a fait le succès de ses disques : la sincérité et la pudeur avec laquelle il parle d’une jeunesse en perte de repères et incapable de faire face à son avenir.
Un tel message pourrait aisément tomber dans le pathos ou, au contraire, crouler sous une avalanche de blagues de mauvais goût. Pourtant, ces craintes sont dissipées par l’autre grande qualité d’écriture du rappeur : un sens de la répartie imparable, couplé à un excellent timing. Ce talent le place d’ailleurs bien au-dessus de certains dialoguistes de comédies françaises. Mais surtout, Orelsan choisit de désamorcer toutes les scènes dramatiques avec un gag bien placé qui leur évite de tomber dans le pathos facile, sans en retirer le caractère touchant.
Le film fait aussi la part belle aux moments chantés, entre la comédie de mœurs et la comédie musicale. Orelsan, Gringe et le reste de l’équipe ont produit une bande (quasi) originale et de grande qualité, que ce soit sur le plan de l’écriture ou de la composition. Mais on notera surtout avec quel soin Aurélien Cotentin (alias Orelsan) a tenu à intégrer les morceaux dans son film : ceux-ci ne sonnent jamais faux et tombent toujours au bon moment. Ils ne sont ni trop courts ni trop longs et illustrent parfaitement et précisément le ressenti des personnages. Par exemple, cette scène en début de film, lorsqu’un Orelsan bien imbibé est pris en stop par son père, et qu’un monologue intérieur rappé décrit avec une grande justesse la relation entre les personnages, entre la déception d’un père quant au devenir d’un fils, et l’incapacité de ce dernier à se faire comprendre par son aîné.
Cependant, le film n’est pas parfait. La réalisation se révèle assez plate, et malgré quelques plans bien sentis, le montage échoue à introduire une rythmique intéressante. Bien sûr, le film racontant le parcours de deux glandeurs, il paraissait difficile d’en faire quelque chose de dynamique. Mais il manque sans doute à la réalisation la petite touche de folie qui aurait redonné un coup de fouet à une seconde partie qui s’enlise quelque peu. On pourra noter aussi qu’Orelsan a choisi de faire jouer les potes qui lui ont inspiré les situations du film. Si cela ajoute à l’ensemble un cachet d’authenticité, l’amateurisme des amis en question handicape de temps à autre la qualité du film.
Malgré ces quelques défauts, Orelsan est parvenu à créer une œuvre honnête, sincère, drôle et surtout fraîche, qui évite les écueils de bon nombre de comédies françaises écrites pour les jeunes, lesquelles échouent à transmettre un quelconque message générationnel (on pense notamment à des films comme Lol ou les comédies de Kev Adams). Avec ce premier film, le rappeur de Caen prouve qu’il lui reste encore beaucoup d’ Histoires à raconter …
https://www.youtube.com/watch?v=PwhGMylHLjw