Daniel Vais
Daniel Vais est un chorégraphe londonien dirigeant la compagnie de danse Culture Device, une troupe composée de danseurs professionnels porteurs du syndrome de Down (trisomie 21). Son travail est entièrement tourné vers la danse et il se défend de tout travail caritatif : il travaille avec ses artistes sur une recherche du mouvement juste, libre et simple.
Je m’intéresse à la danse depuis que je suis enfant. Puis, quand j’ai su que je voulais être chorégraphe, j’ai su que je devrais d’abord être danseur avant d’uniquement me consacrer à la chorégraphie. J’ai donc fait des études de danse puis j’ai été danseur pendant quelques années.
Donc pour toi, un chorégraphe est d’abord un danseur ?
C’est la question à un million de dollars (rires) ! Oui, je pense qu’on doit d’abord danser pour ensuite chorégraphier. C’est comme un chef d’orchestre : je suis sûr que tous jouent ou ont joué au moins d’un instrument, et même s’ils ne jouent plus ensuite, ils savent ce que cela demande d’être un musicien, de jouer dans un orchestre et ce qu’il faut faire pour que ça marche. De même, il faut avoir expérimenté la scène pour pouvoir être chorégraphe.
Tu as dit que ton intérêt pour la danse remontait à l’enfance, mais qu’est ce qui t’intéresse tant dans la danse ? Quel est ton objectif de recherche en tant que créateur ? Ou, autre formulation, qu’est ce que la danse pour toi ?
Tout d’abord, je suis un chorégraphe social ( social choregrapher ), je ne reste donc pas dans le cadre de représentations théâtrales, même si ça en fait aussi partie. J’utilise mes compétences de chorégraphe – comme savoir ce qu’est l’espace, comment le transformer, en créer et le manipuler, mais aussi les possibilités de la narration dans et par l’espace – pour emporter la danse hors de la scène, hors du théâtre. En tant que chorégraphe social, je place toujours dans mon travail des éléments de la société.
Quels liens fais-tu entre performance et danse ?
Pour moi la danse, c’est le mouvement pur, quand il n’y a pas besoin de lumière, de scène, ni même de musique. Le corps est l’instrument du danseur, il existe même sans musique, dans n’importe quel espace mis à sa disposition. D’autres types de performance utilisent aussi le mouvement et la danse dans leurs créations, et c’est intéressant mais ce n’est pas juste de la danse pure et simple.
Donc si la danse, c’est le mouvement…
C’est le mouvement pur, c’est un corps qui se meut esthétiquement et pour le seul fait de l’existence de ces mouvements particuliers.
Donc ta recherche est la recherche du « bon » mouvement ou du mouvement « libre » ?
Je suis spécialisé dans l’improvisation. Je ne prépare donc pas des mouvements prédéterminés, je ne donne pas de suites de mouvements à exécuter. Je donne aux danseurs un cadre qu’ils remplissent avec leur propre vocabulaire corporel. Mon travail en tant que chorégraphe est de stimuler mes danseurs pour leur permettre de réaliser les meilleurs mouvements. Je travaille très personnellement avec mes danseurs, presque intimement ; parfois nous n’avons pas besoin de mots. À force de travail, je connais leur potentiel, leur corps et la politique de leur corps.
Je ne leur dis pas comment danser, mais juste de danser. Avec cette approche de la chorégraphie, les possibilités sont infinies. Je laisse toujours un espace pour l’interprétation du danseur : le danseur devient un micro-chorégraphe au sein de la chorégraphie. Ainsi le danseur est-il constamment attentif sur scène car il improvise, il ne connaît pas encore le mouvement suivant. Il est toujours dans une phase d’urgence.
Tu avais déjà cette préférence en tant que danseur ?
Oui, depuis le début. Car il y a plus de possibilités et plus de place pour les moments magiques qu’on ne peut pas préparer ou répéter. Ce sont des instants de grâce exceptionnels qui peuvent subvenir et c’est pour cela que j’aime tant l’improvisation : tout est ouvert, les corps et les esprits des danseurs sont ouverts et, je pense, le public sera dans le même état. C’est la magie de la danse de réussir à faire imaginer aux cerveaux des spectateurs qu’ils sont eux-mêmes en train de danser ! C’est pour cela qu’après avoir assisté à un spectacle de danse, on se sent tellement vivants.
Oui, nos muscles de spectateurs ont même de micro-contractions en miroir des mouvements des danseurs…
Tout à fait, et lors d’une improvisation, les muscles du danseur se meuvent avec plus d’aisance et de liberté que pour un mouvement chorégraphié. Et le public voit, ou du moins ressent cela.
Par ailleurs, je pense que les danseurs en improvisation peuvent travailler avec des mouvements de leur propre personnalité, des mouvements appris au cours de leur vie à travers le rapport à la culture, l’éducation et la société. L’improvisation leur laisse plus de place pour exprimer cette histoire personnelle du mouvement.
Oui, absolument. Et même avant ça, le corps du danseur est premier. Avant la personnalité, la physicalité du corps s’exprime : c’est un instrument en mouvement. L’improvisation est le moment et le lieu de rencontre entre le corps et l’esprit, c’est un temps où l’on peut voir de quoi est fait l’être humain dans toute sa gloire, sans retenue ni mouvements convenus.
L’ouverture, la disponibilité requises par le danseur mettent en évidence le mouvement promu par une force intérieure et personnelle qu’on ne saurait expliquer. L’improvisation, c’est au-delà du mouvement : la recherche d’une cohérence, d’une direction, d’une clé.
Comment as-tu choisi de travailler avec des danseurs porteurs du syndrome de Down ?
Lors d’une résidence de chorégraphie en Irlande, j’ai découvert qu’il y avait un centre pour des personnes ayant des troubles d’apprentissage non loin du studio. J’y suis allé un jour et j’ai engagé la conversation : ils étaient très curieux de mon métier. Je leur ai donc proposé de venir au studio la semaine suivante pour expérimenter directement ce qu’est la chorégraphie.
La semaine suivante, ils sont tous venus et j’ai fait ce que je fais avec tous les danseurs avec qui je travaille : j’ai mis de la musique pour les voir bouger, danser. Et là, en tant que personne, je suis resté scotché, fasciné par ce qui se passait. J’ai oublié que j’étais chorégraphe et que j’avais un atelier à mener et j’ai profité de ce que je voyais. Je me suis ensuite dit que c’était trop bien pour ne pas continuer et qu’une compagnie de danse venait juste de se constituer. Ce fut ma première compagnie.
En continuant à travailler avec eux, j’ai pu observer comment, quel que soit le style de musique que je leur proposais (classique, contemporain, avant-garde, électronique, orientale…), ils s’y ajustaient. Pour un chorégraphe c’est un don du ciel que de travailler avec des danseurs qui ont autant de possibilités d’adaptation, qui n’ont pas un seul style.
Depuis lors, quelle autre qualité as-tu eu l’occasion de découvrir dans leur travail de danseurs ?
Tout d’abord, les danseurs de ma compagnie actuelle étaient de très bons artistes avant de me rencontrer, pas encore des danseurs, mais des acteurs, des performeurs. Ensuite, ce qui permet que tout marche aussi bien pour moi, c’est leur instinct à dire oui, leur enthousiasme. Ils vont d’abord dire oui et essayer, puis si ça ne fonctionne pas, seulement alors ça sera non. Ils sont toujours à fond dans l’expérimentation.
Ils n’ont pas l’autocensure et les doutes des autres artistes. Ils sont donc toujours prêts à expérimenter de nouvelles choses et n’ont pas peur d’éventuelles erreurs.