Dans les lignes, à travers les âges
Dans Liège en toutes lettres , Guy Delhasse raconte comment les écrivain(e)s ont écrit la ville de Liège depuis 1823. De ses vies ouvrière, politique, religieuse, sociale, scolaire à celles de ses commerces, de ses transports, de ses arts, et de sa gastronomie, Liège y rayonne à tous les coins de rues et dans pléthores de lignes d’auteurs et autrices (in)connu(e)s pour se graver dans nos mémoires.
Surnommé « le gardien de but de la littérature liégeoise » par Bernard Gheur1 , puis « l’arbitre de ses élégances » par Armel Job2 dans sa préface, Guy Delhasse est un auteur à multiples facettes. Des guides et promenades littéraires aux romans noirs, chroniques, récits biographiques et chansonsgraphies, son œuvre est toujours restée proche de Liège, la ville qu’on ne quitte jamais véritablement3 . Dans Liège en toutes lettres (2021), son hommage le plus récent aux lettres de la Cité ardente, Delhasse affirme qu’« il existe bien une « littérature liégeoise » depuis 1823, c’est-à-dire un engagement littéraire qui propose un ensemble de romans et de nouvelles, de poèmes qui met en évidence le patrimoine urbain par le biais de l’invention ». À la lecture de ce dernier, on ne peut que rejoindre l’équipe Delhasse car si « une ville sans fiction n’a pas d’avenir », le futur de Liège est écrit et s’écrit encore.
Liège, ou la seule ville qui a son surnom dans le titre d’un roman, La cité ardente d’Henry Carton de Wiart, mais elle reste ardente pour de multiples raisons, qui comprennent son passé industriel. Dans son premier chapitre, Delhasse plonge le lecteur dans les bassins houiller puis sidérurgique. Par exemple, si Victor Hugo et Graham Greene ont prêté quelques lignes aux années les plus prospères de Liège, c’est Alexis Curvers qui donne à l’industriel liégeois des allures de sublime dans Printemps chez des ombres , qui apparait bien plus propre que les usines sales de Jean Jour dans La fenêtre sur le quai . Avec un sérieux teinté d’humour, Delhasse rappelle un des nombreux rachats de la société sidérurgique et charbonnière Cockerill-Sambre alors que Liège est en pleine « full Mittal jacket » dans L’année des fers chauds de Dominique Delahaye4 .
Jean Jour — fréquemment cité aux côtés de Christian Libens, Bernard Gheur, Paul Dresse, Armel Job, et évidemment Curvers et Simenon — revient dans une partie consacrée aux commerces liégeois (boutiques, épiceries, boucheries…), dont il fait l’apologie dans sa trilogie d’ Un gamin d’Outremeuse . Quelques classiques que tous Liégeois(e)s (ou non-Liégeois(e)s d’ailleurs) devraient connaître : Christian Libens rappelle l’existence dans Un œil à la lune et l’autre crevé de la librairie « Béranger » place Cockerill, qui deviendra la célèbre et très fournie « Pax », Christophe Winchowski remarque dans Le noyé du Pont Barrage la délicieuse pâtisserie Lechanteur rue Saint-Paul qui vend « les meilleurs éclairs au chocolat de la ville », et Hélène Delhamende nous parle dans son recueil Disparitions des deux enseignes encore bien vivantes que sont « Stoffels » et « chez André ».
On se promène et on arrive aux marchés, sur la place du Marché, mais aussi sur la seule et unique Batte5 , à laquelle Delhasse rend un hommage des plus poétique :
« La reine millénaire, princesse de cœur de tous les Liégeois et des autres […]. Batte à mille pattes, batte à pain dur à travers les siècles, sans se soucier des romans qui la battent de mille mots colorés. »
Michel Bodeux la décrit dans les détails dans son roman oublié Liégeoise idylle , alors que ses échoppes « s’animent de cris, de chants, d’aboiement, de sonneries de trams et du meuglement des bateaux ». Guy Delhasse (car il fait lui-même évidemment aussi partie de son corpus !) lui accorde une importance différente, étant « la rencontre entre les langues et les cultures de différents pays » dans L’Être pour partir .