Des roses et des oiseaux
À travers le journal intime de la petite Ronce-Rose, Éric Chevillard nous invite avec douceur et simplicité à faire place à une esthétique plus bigarrée que canonique, esthétique qui gagnerait toutefois à abandonner des dessous par instants trop conceptuels, trop adultes.
Ronce-Rose est une petite fille qui n’a rien à envier aux grandes personnes : elle voyage léger puisque son sac ne contient que trois culottes et une orange. Elle ne porte pas sur son dos le lourd fardeau des habitudes, de l’aigreur, des convenances, de l’inconséquence. Libérée du superflu, on pourrait même se risquer à dire qu’elle est mieux disposée que les grandes personnes à devenir une grande personne parce qu’elle garde intacte sa faculté de s’étonner, de s’émerveiller. Sa fraîcheur est propre à dénouer ce que le réel recèle d’éblouissant. Et sa force de vie nous convainc de l’imiter. Son discours est sans ambages, sans artifices. Même couchés sur le papier de son journal intime, ses mots revêtent la légèreté de l’oralité ; la nature est déjà si belle, pas besoin de la maquiller. Avec elle, on revient à notre vocation première d’ornithologue et on se demande comment les métros ont pu nous faire oublier les mésanges ; comment les grillages et les quadrillages ont pu se substituer à la transparence des fenêtres. Il ne s’agit pas de jouer au crétin naïf. Rose n’est ni crétine ni naïve. Elle observe comme nos yeux las ne savent plus observer, elle analyse et résonne ; elle interroge les étymologies, détricote les expressions toutes faites, ébranle les dogmes bien assis. Elle compare tout à tout dans ses parenthèses, mais pas n’importe comment. Son goût pour les métaphores rapproche les contraires sans les fondre. Une terre sillonnée de vignes comme une « robe très large de princesse du monde ancien, une robe verte à rayures marron en lourd velours précieux ». Voir une terre comme une robe, cela nous encourage à voir les choses en tant que sœurs plutôt qu’étrangères. Dans l’inépuisable imagerie de Ronce-Rose, on se surprend à poser un regard esthétique sur ce qu’on délaisse habituellement. Dans le monde de Rose, ou le monde tel qu’il est senti et écrit par Rose, il n’y a pas que de l’amour pour les papillons ou pour l’odeur des fleurs, il y en a aussi pour les radiateurs et les « oiseaux morts pourris dans l’herbe ».
C’est beau, moi je trouve ça beau, les choses qu’on voit, ce qu’il y a partout, c’est beau. Certaines de ces choses font plutôt rire, ça ne les empêche pas d’être belles aussi. Leur forme surtout, j’aime surtout la forme des choses, vous avez remarqué les formes qu’elles prennent ! Je ne pense pas seulement aux nuages. Vous avez déjà regardé une chaise ?